[JdR] L’industrie de la santé en France aujourd’hui, entre risques économiques et perte de souveraineté : une nécessaire reconquête de puissance Leave a comment

La crise du Covid-19 a participé à mettre en exergue le caractère hautement stratégique de l’industrie de la santé en France. Cela a aussi été l’occasion de constater les manquements, les difficultés et les problématiques d’un secteur en perte de vitesse. Certes, en termes d’exportations la France reste dynamique puisqu’elle se hisse à la 5eme place sur le marché mondial du médicament par son importante balance commerciale. Néanmoins, la France a accumulé un retard conséquent sur ces voisins, induisant un manque de compétitivité, une perte de souveraineté progressive et donc une perte de puissance non négligeable. La France se doit de repenser sa stratégie pour porter son industrie de la santé, lui permettant alors d’être ambitieuse et de redevenir maîtresse de sa production de médicaments et de matériel médical.

 

Failles et vulnérabilités de l’industrie de la santé en France : risques économiques, de souveraineté et sanitaires

Un premier risque qui pèse sur les industries de la santé en France, c’est celui de la perte de souveraineté parce que la tendance est à la délocalisation et à la sous-traitance de leurs activités de production des principes actifs (API), principalement en Chine et en Inde, et ce, depuis de nombreuses années.  L’industrie médicale répond aujourd’hui à des logiques financières, de plus en plus poussées vers la recherche de la croissance économique. Ces considérations économiques et ces changements de gouvernance poussent toujours plus à délocaliser vers les environnements de production les moins chers au risque de sacrifier la souveraineté industrielle. Ces pratiques lucratives ont permis aux entreprises françaises de grandement baisser leurs coûts de fabrication et de production des matières premières de produits médicaux.

Deuxième risque identifiable, le risque de pertes économiques qui va en s’accentuant. L’attractivité économique de la France est en berne depuis de nombreuses années et à même sombré progressivement, ce qui accélère les délocalisations En cause, de trop faibles moyens et soutiens accordés aux entreprises, un poids et une lenteur administrative omniprésents, particulièrement dans l’autorisation de mise sur le marché et la fixation des prix. Par son manque de vision stratégique industrielle au niveau de la santé, la France a conduit progressivement des entreprises comme Sanofi à externaliser leurs activités. Par ces délocalisations croissantes, la très grande majorité des médicaments consommés et administrés en France sont produits à l’étranger. Aujourd’hui, “seulement 30% des génériques, 27% des vaccins et 17% des principaux médicaments utilisés à l‘hôpital, sont produits en France” et “80% des principes actifs sont produits hors d’Europe”, et ce malgré les 271 sites de production français. À l’instar d’autres secteurs de l’industrie, ces chiffres reflètent la situation de dépendance vis-à-vis de l’Inde et de la Chine qui détiennent 60 % des sites de production d’EPI, contre 20% détenus par les pays d’Europe. Entre 2005 et 2015, “notre production de produits pharmaceutiques en parts de marché mondial a été divisée par deux”. La France accuse également un retard même si Sanofi investit 60% de son budget recherche dans la biologie. Les startups, porteuses de l’excellence de la FrenchTech, se tournent, elles aussi, vers l’international pour obtenir des financements et avoir accès à des marchés plus développés et lucratifs. Parmi ces startups Capsule a été rachetée par Qualcomm en septembre 2015, Medtech par l’américain Zimmer Biomet en août 2016 et E-Device par le chinois iHealth en août 2016. La France se retrouve alors prise en étau entre la prédation économique des grands groupes américains sur ses startups et la menace de l’attractivité des marchés chinois et indiens.

Troisième risque à prendre en compte, la dépendance sanitaire de la France en matière de médicaments. On ne peut que souligner le risque fort lié à l’approvisionnement en cas de pénurie, ce qui fragilise encore davantage l’industrie de la santé en France. Plus qu’un risque, c’est une réalité mise en relief par la crise de la Covid. Un an avant le début de la crise sanitaire mondiale, le Leem (Les Entreprises du Médicament), dans son dossier alarmant “Pénurie de médicaments : le plan d’actions du Leem”.présentait et évoquait les très nombreux risques de pénuries médicales menaçant la France, ce qui n’a pas manqué d’être le cas. Les dirigeants politiques et les industriels ont sciemment ignoré ce risque, se rendant coupable de mise en danger de la population. Ceci dénote donc d’un manque de préparation et de vision stratégique. 

 

Repenser sa stratégie de puissance pour une souveraineté sanitaire et industrielle

Pour s’assurer une autonomie stratégique et pallier son risque de dépendance, la France doit retrouver des capacités de production suffisantes pour être compétitive, ne serait-ce que pour garantir sa souveraineté sanitaire et industrielle. Au regard des problèmes d’approvisionnement révélés par la pandémie de covid-19, une revue globale de l’ensemble de la supply chain et une relocalisation des usines de production s’imposent pour que l’on ne dépende plus de composants venants de l’étranger. Dans cette perspective, le sous-traitant Segens a d’ores et déjà choisi de relocaliser sa production de paracétamol en France dès 2023.

Pour une reconquête industrielle efficace et effective, il est aussi impératifde réindustrialiser, mais de manière réfléchie à travers l’innovation. La seule production chimique ne suffit plus, puisque la France est concurrencée par les pays émergents, elle doit se démarquer et attirer des entreprises innovantes. Même si la France est le 4ème producteur de médicament européen, elle ne propose que peu de ces produits à forte valeur ajoutée. Pour reconquérir le marché et être compétitif, la France se doit de rattraper son retard en termes d’innovations.

Cela passe d’abord par le secteur de la biotechnologie (technique utilisant des êtres vivants pour fabriquer des composés biologiques ou chimiques) sachant que 95% des nouveaux médicaments seront issus de ce secteur hautement stratégique d’ici 2024. La France s’est saisie tardivement du sujet ce qui explique son retard. Elle dépend aujourd’hui à 95% des importations pour les biothérapies et produit 5 biothérapies, là où l’Allemagne en produit 21 et l’Italie 12. Pour pallier ce retard, le gouvernement a proposé un plan à horizon 2030, qui entend faire de la France le leader de la biotechnologie d’ici 2030, en y investissant 2 milliards d’euros. On peut se demander si ce plan est suffisant au regard des difficultés du secteur, le financement n’étant pas la seule problématique. Le manque de rentabilité et l’absence de réglementations uniformisées représentent des défis colossaux pour une reconquête efficace du marché du médicament.

Ce retard français impacte aussi les autres types d’innovations françaises, dont la robotique ou encore la génomique (dont le plan pour 2025 n’a pas connu d’actualisation et dont les résultats au vu de nos performances pendant le Covid ont montré toute l’inefficacité). Pour preuve du retard en termes d’innovation, le 26 novembre 2021 Sanofi a notamment signé un accord avec Baidu pour utiliser son algorithme de séquence d’ARNm pour son vaccin contre le Covid.

Autre innovation importante, l’e-santé. Pour l’industrie de la santé, le numérique permet l’émergence d’objets connectés et un développement de l’Intelligence Artificielle (IA). Cela représente une véritable opportunité pour mieux prévenir les maladies, automatiser des procédures, suivre plus facilement l’évolution de maladies chez les patients mais aussi rationaliser les coûts. Cela implique néanmoins des risques liés aux données personnelles.

Il faut aussi souligner les failles de la filière recherche et développement, dont la recomposition, nécessaire aujourd’hui, est un enjeu stratégique critique. Emmanuel Macron l’a lui-même souligné « Côté recherche, (…) on a un système qui est moins efficace qu’il ne devrait l’être : manque d’investissements, trop de divisions, trop de lenteurs et des corporatismes ».   Le financement de la recherche biomédicale en France est abyssal. Les moyens alloués ont, en dix ans, diminué de 28% en France alors qu’ils ont augmenté en Allemagne (11%) et au Royaume-Uni (16%). Les nécessaires étapes de recherche et de développement se trouvent également sous-financées parce qu’elles ont un fort risque d’échec. Pour preuve, le vaccin contre le Covid Valvena, pourtant français, arrive sur le marché anglais avant le marché français parce que la France n’a pas su ni être réactive ni financer le projet, au contraire du Royaume-Uni. Cette vision court-termiste pénalise le développement des start-ups, notamment dans le secteur biotechnologique. Il est nécessaire de revoir cette stratégie et d’inclure une volonté de prendre des paris plus ambitieux

La gouvernance de la filière santé représente elle aussi un point d’achoppement. L’agencification massive crée des lenteurs. Les autorisations pour développer des médicaments prennent en France en moyenne 500 jours contre 100 en Allemagne.  Pour remédier à ce problème, le gouvernement prévoit dans son plan de 2030 la création de l’Agence de l’Innovation. La tradition française de créer une agence par problème ne peut pas être la solution systématique des gouvernants. Le système de gouvernance de la biologie-santé n’est pas solide et la solution du gouvernement de financer pour redonner de l’élan à un secteur qui a peu ou prou été abandonné, plutôt que de le repenser entièrement ne semble pas viable.

Enfin, pour être vraiment résiliente, la France doit faire le choix d’isoler des “médicaments d’intérêt stratégique sanitaire” et créer des stocks de sécurité. Le coût de cette démarche est élevé (produits immobilisés, location d’entrepôts, besoin de personnels d’entretien, sécurisation des lieux, date de péremption) mais nécessaire pour sa souveraineté sanitaire.

Pour espérer un regain de puissance dans le secteur de l’industrie de la santé et se montrer vraiment compétitive, la France ne doit pas se contenter d’un nouveau plan tous les cinq ans. Il est urgent de repenser le secteur pour lui donner une base solide, et les moyens des ambitions gouvernementales pour assurer sa souveraineté face aux autres puissances.

 

Tiphaine Dieudonné pour le club Risques de l’AEGE

 

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