(ETX Daily Up) – Dans “La Grosse”*, Ariane Séguillon revient sur son combat contre la boulimie, une maladie dont les témoignages demeurent encore rares en France. La comédienne française, que l’on retrouve au quotidien dans la série “Demain nous appartient”, a accepté de nous parler de son expérience personnelle, de son parcours, et de son long chemin vers la guérison. Rencontre.
Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ce livre ?
Je voulais simplement dire la vérité. Cela a d’une certaine façon commencé quand j’ai annoncé à la presse et sur les réseaux sociaux que j’étais boulimique, et que je grossissais à cause de cette maladie. C’est devenu public, et certains médias ont un peu dit tout et n’importe quoi, comme le fait, par exemple, que j’avais perdu 45 kilos en faisant du sport. Ce qui est faux. Ca peut sans doute arriver, mais cela n’était pas mon cas étant donné que j’étais boulimique. Je me suis donc retrouvée, malgré moi, porte-parole de cette maladie, et il y a tellement de gens qui m’ont écrit, qui sont en souffrance, que cela m’a donné envie de raconter mon parcours. D’autant plus que j’ai été contactée par une éditrice qui recherchait une personne pour parler de la maladie, car il y a peu de livres de témoignages sur le sujet, donc j’ai décidé de le faire. J’ai finalement signé avec un autre éditeur, mais cela me permet de dire toute la vérité sur ce que j’ai vécu.
L’écriture a-t-elle aussi servi d’exutoire ?
Ce n’était vraiment pas l’objectif de ce livre, mais il s’est avéré que sur la longueur j’ai effectivement eu l’impression d’accoucher d’un bébé. C’est difficile à expliquer, mais j’y ai tout mis, jusqu’à mes larmes, donc cela a fini par devenir viscéral. A la base, je ne l’ai toutefois pas fait pour ça, et je ne me sentais d’ailleurs pas forcément légitime pour raconter mon parcours de cette façon.
Le livre s’intitule ‘La Grosse’, un mot aujourd’hui considéré comme politiquement incorrect. Pourquoi ce choix ?
Au quotidien, lorsqu’il ne s’agit justement pas de faire du politiquement correct, c’est un terme qui ressort au contraire extrêmement souvent. On l’entend partout ! C’est un terme que les gens disent entre eux, sans aucun complexe. Dans une soirée ‘branchée’, on ne l’entendra effectivement pas, mais dans la rue, entre amis, cela arrive très souvent. C’est aussi et surtout le nom dont on m’a affublée pendant des années, et il faut appeler les choses par leur nom. Il m’a donc semblé logique d’intituler l’ouvrage de cette façon.
Vous parlez sans tabou de la boulimie, un sujet qui l’est encore dans les médias. Comment la maladie s’est-elle immiscée dans votre vie ?
La maladie était forcément latente, mais elle s’est totalement déclenchée le jour où mon petit frère m’a annoncé qu’il avait un cancer. C’est vraiment là que tout a commencé.
Vous dites dans le livre que certains évènements étaient associés non pas à une date, mais à votre poids. Celui-ci était-il devenu une obsession ?
Oui, complètement. La seule chose qui comptait était le poids sur ma balance, tout le reste n’existait pas. C’était incroyable.
Quel impact ces crises de boulimie ont-elles eu sur votre quotidien et votre métier ?
Cela n’a pas eu d’impact sur mon métier ou mon quotidien pour la simple et bonne raison que je faisais comme si elles n’existaient pas. En revanche, elles ont eu un impact sur moi, à un niveau personnel et intime, sur mes mensonges, sur ce besoin d’exister en permanence ou de me justifier sur mon poids, mais pas vis-à-vis des autres puisque je n’en parlais à personne, et personne ne le savait. Les gens avaient la discrétion de ne rien me dire, ou de le dire dans mon dos, mais ça je ne le sais pas.
Les diktats imposés aux femmes persistent en 2022, et c’est davantage le cas au cinéma ou à la télévision. Avez-vous ressenti ce poids des injonctions au quotidien ?
C’est effectivement arrivé une fois lorsqu’une directrice de casting m’a dit : “ah désolée, je croyais que tu étais encore jolie”. Mais dans mon métier, je ne l’ai pas tant ressenti que ça. Les gens ne disent pas les choses si ouvertement, donc on n’y prête pas attention. Et puis, je me mentais aussi sûrement à moi-même, donc je ne faisais pas gaffe à tout ça. Finalement, c’est après que je me suis rendu compte des choses.
Comment avez-vous pris conscience que c’était une maladie ?
C’est comme pour la drogue, on n’en parle pas, et on n’y pense d’ailleurs même pas. La guérison débute le jour où l’on comprend que l’on est boulimique. Avant ça, il n’y a aucune prise de conscience. Mais si l’on doit vraiment parler de ce déclic qui m’a conduit vers le chemin de la guérison, il est sans doute venu le jour où j’ai menti à mon fils concernant plusieurs paquets de gâteaux qui avaient ‘disparu’. Je les avais bien évidemment engloutis la veille, mais j’ai nié avant qu’il me mette lui-même devant le fait accompli. Là, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, que je ne pouvais pas mentir à mon fils. A partir de là, j’ai tenté beaucoup de choses pour essayer de m’en sortir, jusqu’à finir par comprendre que c’était ma tête qu’il fallait soigner. C’est sans doute ce qui est le plus important à comprendre : ce ‘pourquoi’, ces choses à régler à l’intérieur, avant de tenter une opération, un régime, ou quoi que ce soit d’autre.
Justement, vous avez tenté plusieurs régimes, la pose d’un ballon, une cure d’amaigrissement… sans résultat. Savez-vous aujourd’hui pourquoi ces méthodes ont échoué ?
Tout simplement parce que je n’étais pas prête. On peut faire tout ce que l’on veut, si la tête ne suit pas, ça ne sert strictement à rien. Et ça, je l’ai compris en poussant la porte de la bonne psychologue. Il y a un gros travail sur soi-même à faire, et il faut réapprendre à s’aimer.
Aux femmes – et aux hommes – touchés par la boulimie, diriez-vous que la guérison débute par un travail sur soi, à l’aide d’un psychologue, avant d’entamer des régimes ou procédures plus lourdes ?
Un immense oui, et un seul conseil : aimez-vous, personne ne pourra le faire à votre place et écoutez-vous, vous vous connaissez mieux que personne. Personnellement, je n’ai pas maigri pour ma beauté extérieure, mais parce que je commençais à avoir de gros problèmes de santé, et me dirigeais vers une obésité morbide. Il est important de savoir comment ces hommes et ces femmes se sentent, et pourquoi ils souhaitent maigrir. Chaque cas est tellement différent. Mais si mon livre peut aider ne serait-ce qu’une personne, c’est que j’ai bien fait de l’écrire.
* “La Grosse – Je suis guérie mais je me soigne”, Ariane Séguillon, Editions Flammarion.
Christelle Pellissier