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La croissance du secteur des technologies appliquées à la santé, déjà forte avant la pandémie de Covid-19, n’a fait que s’accélérer de manière fulgurante avec la crise sanitaire. Mais à quel point ? Tour d’horizon des données connues.
Bien avant la pandémie de Covid-19, le marché mondial de l’e-santé croissait de manière impressionnante. En 2019, le cabinet McKinsey l’estimait à environ 350 milliards de dollars, avec une croissance annuelle de l’ordre de 8 %. Et pour cause, l’innovation technologique appliquée à la santé permettrait d’alléger les tensions sur les systèmes de santé en déficit dans de nombreux pays, favorisant notamment une médecine prédictive capable de prévenir certaines maladies comme le diabète ou l’hypertension artérielle. Aux États-Unis, par exemple, nation historiquement fâchée avec le concept d’assurance maladie universelle (avec son exception), McKinsey estime que les technologies numériques appliquées à la santé pourraient faire économiser 500 milliards de dollars.
Un terrain occupé par les Gafam
Avec de tels constats et la possibilité de bénéficier de subventions publiques pour développer des produits ou solutions e-santé (en plus des remboursements par les mutuelles du côté des utilisateurs), de nombreuses start-up, suivies d’investisseurs, se sont positionnées sur ce marché mondial. En 2020, elles auraient levé plus de 14 milliards de dollars, selon la plateforme Crunchbase. En 2021, “alors que les investisseurs s’attendent à des innovations en provenance de domaines comme l’interopérabilité des données, la santé mentale et les soins personnalisés”, la somme des fonds levés pourrait rivaliser avec celle de l’année précédente. Surtout, ces start-up s’installent sur un terrain également occupé par les Gafam.
Google travaille avec la fédération hospitalo-universitaire américaine Mayo Clinic et la chaîne hospitalière HCA Healthcare pour optimiser le traitement de patients via l’intelligence artificielle. Sans oublier son acquisition du spécialiste des terminaux de santé connectée Fitbit finalisée début 2021. Amazon a ouvert pour ses salariés une clinique virtuelle qui pourrait aussi s’étendre au grand public. Facebook a lancé aux États-Unis des outils de santé prédictive, tandis qu’Apple a fait une percée considérable dans la santé numérique avec son Apple Watch, qui pourrait bientôt détecter le taux de glucose dans le sang et aider les diabétiques. Microsoft nourrit aussi de grandes ambitions dans la santé numérique, notamment depuis son acquisition de Nuance pour 19,7 milliards de dollars au printemps 2021. La liste de projets des géants du numérique dans la santé est longue.
En France, un “décloisonnement entre les secteurs d’activité”
Après deux ans d’une crise sanitaire mondiale qui a mené à une accélération historique du secteur de l’e-santé, à quoi ressemble l’écosystème en France ? Pour Xerfi, l’heure est à la consolidation. Le spécialiste des études sectorielles en veut pour exemple l’achat cette année du spécialiste français de la télémédecine Qare par le britannique HealtHero, ou encore celui plus récent de Voluntis, spécialiste des thérapies numériques, par l’américain Aptar. En France, des plateformes comme Doctolib, qui a récemment mis la main sur son concurrent italien Dottori, Dassault Systèmes, qui a racheté l’américain Medidata en 2019, ou encore La Poste, qui a pris le contrôle du français Nouveal en 2020 et prévoyait de renforcer sa présence au capital de Newcard cette année, font figure de consolidateurs.
La pandémie pousserait “les opérateurs à envisager de nouvelles alliances et favorise les mouvements de décloisonnement entre les secteurs d’activité”, selon Xerfi. Et notamment en ce qui concerne les cabinets médicaux virtuels (Doctolib, Qare, Hellocare…), l’IoT santé et bien-être (Withings, Apple, Fitbit…), ainsi que la coordination des parcours de soins (Hoppen, Happytal, Enovacom…). Les spécialistes des cabinets médicaux virtuels seraient par ailleurs “les mieux placés pour jouer les pilotes de ces écosystèmes en devenir”, estime Xerfi.
Au-delà des produits, l’importance des usages
Il subsisterait encore de l’indécision du côté de la structuration des spécialistes de l’intelligence artificielle appliquée à la santé. Un domaine dans lequel “les politiques industrielles seront déterminantes pour faire émerger des champions nationaux et constituer des écosystèmes d’acteurs complémentaires”, poursuit l’étude. “On s’oriente en réalité vers une structuration de l’activité en filières exploitant les compétences complémentaires des industriels de santé et de start-up ou d’éditeurs de logiciels santé”, note le cabinet.
Aujourd’hui, le marché français de la télémédecine, stimulé par les 525 € annuels alloués par l’Assurance maladie à l’équipement numérique des professionnels de santé, pèserait au moins 100 millions d’euros. D’ici à 2025, et alors que presque un Français sur deux a utilisé un outil numérique dédié à la santé depuis le début de la crise sanitaire, le marché des services de téléconsultation pourrait peser entre 200 et 300 millions d’euros. Il lui faudra pour cela se concentrer sur le développement des usages, et moins sur celui de produits, les téléconsultations ayant largement chuté (de 25 % à 3 %) entre le premier confinement en 2020 et la mi-2021, rappelle Xerfi. Le marché de la télésurveillance médicale, “encore dans les starting-blocks”, pourrait se chiffrer à plus de 400 millions d’euros. Ensuite, celui des outils de coordination des parcours de soin pourrait atteindre entre 50 et 100 millions d’euros, selon le cabinet.
L’Europe enregistre la plus forte croissance sur l’e-santé
Le marché français de l’e-santé semble donc bouillonnant. Qu’en est-il à l’échelle européenne ? Une étude de la plateforme Dealroom estime ni plus ni moins que le Vieux Continent a enregistré la plus forte croissance mondiale dans le secteur des healthtech en 2021. Cette année, les start-up européennes spécialisées en e-santé auraient déjà levé un montant record de 7,2 milliards d’euros (sur un total mondial de 45,4 milliards d’euros), soit une progression de 370 % par rapport à 2016. “La pandémie a servi de catalyseur à un secteur de la santé déjà en pleine croissance”, souligne l’étude.
Les États-Unis ont enregistré une croissance moins forte avec un taux multiplié par 3,5 (contre 4,9 en Europe et 3,7 en Asie), mais grâce aux écosystèmes tech et scientifiques de San Francisco, New York et Boston, le pays occupe toujours la première place en matière d’investissements en capital-risque dans les technologies appliquées à la santé, et ce de loin avec 28,3 milliards d’euros d’investissements dans le secteur en 2021. Viennent ensuite la Chine, le Royaume-Uni et l’Inde. La France figure en cinquième position avec au moins 885 millions d’euros levés par les start-up e-santé cette année. Comparé à 2016, ce montant a été multiplié par quatre.
Londres, place centrale de l’e-santé européenne
En termes de valorisation, les start-up françaises atteignent un total de 15,9 milliards d’euros, soit 3,5 de plus qu’en 2016. À Paris, l’écosystème e-santé a notamment été marqué cette année par les levées de l’assurtech Alan (185 millions d’euros en avril) et du spécialiste en soins dentaires connectés DentalMonitoring (133 millions d’euros en octobre). À titre de comparaison, la valeur combinée des start-up allemandes du secteur est de 10,3 milliards d’euros, tandis que celle des jeunes pousses au Royaume-Uni (surtout celles issues de Londres, Oxford et Cambridge) est de 44,6 milliards d’euros. Une bonne performance pour l’Hexagone, qui a toutefois encore beaucoup de chemin à faire pour rattraper son voisin d’outre-Manche. Rien qu’à Londres, la valeur combinée des start-up e-santé a été multipliée par neuf depuis 2016. Les jeunes pousses issues de la capitale britannique disposent de la valeur totale la plus importante en Europe, à 21,3 milliards de dollars.
À Paris comme à Londres, Dealroom estime enfin que les segments de la télésurveillance et des wearables (les appareils connectés à porter sur soi) forment le sous-secteur à la croissance la plus rapide. Un point partagé récemment sur notre plateau de Jeudi Pro par Mathieu Letombe, directeur général de Withings, spécialiste français en la matière : “Il y a eu une accélération forte durant le Covid-19 […] Le client comprend que sa santé est importante. Il y a aussi une accélération sur la volonté des professionnels de la santé de suivre leurs patients”, a-t-il souligné. Retrouvez le reste de l’interview ici.