Pour Stéphanie Reusse, l’innovation sert à faire avancer des causes Leave a comment

Quand on lui propose de la rencontrer pour réaliser son portrait, Stéphanie Reusse est surprise. «Vous vous intéressez vraiment à moi?», demande-t-elle au bout du fil, interloquée. Rendez-vous est pris dans un bar du Vieux-Carouge. Arrivée sur place, elle précise d’emblée: «Je n’y croyais pas jusqu’à maintenant. J’étais encore convaincue ce matin que vous alliez m’appeler pour annuler.»

Malgré un parcours très riche, qu’elle qualifie volontiers de «sinueux», Stéphanie Reusse ne semble assurément pas croire qu’un média puisse s’intéresser à elle. Sa trajectoire a pourtant de quoi susciter la curiosité: elle a participé à l’élaboration d’un programme genevois inédit d’inclusion des réfugiés à l’Unige, travaillé sur le langage comme facteur d’intégration et se consacre désormais aux développements de projets innovants dans le domaine de la durabilité. Clairement, Stéphanie Reusse fait partie des visages de l’innovation.

Elle se décrit comme une personne engagée, tant sur le plan personnel que professionnel. «Je suis issue d’une famille très impliquée sur les questions d’accueil des personnes migrantes et sur l’environnement. Je porte en moi ces valeurs et j’essaie de les transmettre dans toutes mes activités.»

Celle qui est aujourd’hui chargée d’enseignement au Pôle gouvernance de l’environnement et développement territorial de l’Université de Genève n’aurait jamais pensé, lorsqu’elle étudiait la géographie pour son master, suivre la trajectoire qui est désormais la sienne. «J’ai choisi cette matière parce qu’elle mélange à la fois un aspect environnemental et un aspect humain. La géographie en dit long sur la manière dont l’être humain occupe le territoire.»

Et pourtant, après plusieurs jobs au sein d’organisations non gouvernementales et des mandats de conseil, Stéphanie Reusse ne se sent pas à sa place. Elle se tourne alors vers l’enseignement du français en tant que langue étrangère. Un virage à 180 degrés? Pas pour elle. «Une langue est souvent liée à un territoire, à une culture, à des codes.» Elle exerce d’abord durant deux ans à l’Université de Fribourg, puis à Lisbonne, où elle est partie s’installer en 2006 avec «mari et enfants». «J’avais choisi l’enseignement du français comme langue étrangère parce que j’avais envie de partir, et j’étais convaincue que c’était facile à exporter.» Au Portugal, Stéphanie Reusse a certes enseigné le français, mais elle aussi l’anglais, tout en relisant des thèses et se consacrant à l’art. «Trouver un emploi fixe et rentable n’était pas chose aisée», glisse-t-elle. En 2011, elle revient avec ses enfants vivre à Genève.

Donner aux réfugiés les outils pour s’intégrer

Peu de temps après son retour en Suisse, elle intègre l’Unige pour enseigner le français comme langue étrangère. Toujours en quête de sens dans son travail, Stéphanie Reusse voit dans l’enseignement de la langue un vecteur d’intégration. Elle s’engage dans la coordination pédagogique, puis participe en 2016 à la création de Horizon académique, un programme d’intégration destiné aux personnes qui relèvent du domaine de l’asile, et ouvert aux Suissesses et aux Suisses de retour de l’étranger. Mis sur pied par l’Université de Genève en partenariat avec le Bureau d’intégration des étrangers, le programme est soutenu par des fondations privées.

L’enseignante explique: «Il s’agit d’une année passerelle qui vise à donner des outils aux réfugiés pour s’intégrer à l’université. Ils et elles apprennent la langue française, se familiarisent avec nos codes académiques et peuvent faire des cours et en valider certains pour la suite de leur parcours.»

Pour elle, ce projet a beaucoup de sens. «Je crois que je n’avais pas encore appris à marcher et pourtant ma mère me mettait déjà des pancartes dans les mains et m’amenait dans des manifestations en faveur de l’accueil des étrangers», se remémore-t-elle.

Malheureusement, après le départ d’un chef avec qui elle s’entendait à merveille, Stéphanie Reusse se retrouve face à un nouveau supérieur hiérarchique avec qui cela ne se passe pas bien. Cette situation la contraint à quitter son poste. «C’était une période douloureuse. Partir d’un emploi qu’on apprécie, ce n’est jamais agréable.» Avec le recul, elle y voit une expérience positive: «Malgré la souffrance, cette période m’a permis de repartir sur de nouvelles bases.»

«Un mur en pleine face»

«Désemparée, déconstruite», selon ses propres mots, Stéphanie Reusse se lance en 2018 dans une formation continue certifiante (CAS) en développement durable et limites planétaires. «Cette formation a été une révélation. Je me suis pris un mur en pleine face en découvrant l’ampleur de l’urgence climatique», relate-t-elle. Très rapidement, Stéphanie Reusse passe de la parole aux actes et change ses habitudes de vie. Son engagement personnel doit correspondre avec son engagement professionnel. Elle met un terme à la consommation de viande, se déplace à vélo, n’achète plus de vêtements neufs et ne prend plus l’avion.

Lucide, elle reconnaît avoir eu une période où elle s’est comportée de manière «assez intégriste». «J’ai vécu une période d’éco-anxiété très forte. Tout ce que je faisais, jusque dans mes relations interpersonnelles, je le vivais sous le prisme de l’urgence climatique.» Durant cette phase de transition personnelle et professionnelle, elle se lance dans une deuxième formation en tant que conseillère en environnement à Lausanne, qui débouche sur un brevet fédéral. Elle ressent le besoin de devenir actrice du changement. «J’ai eu la chance d’être engagée à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Genève, dans le Pôle gouvernance de l’environnement et développement territorial», raconte-t-elle, le sourire aux lèvres.

Depuis, Stéphanie Reusse participe à différents projets, en plus d’intervenir en tant qu’enseignante dans des formations continues certifiantes. Actuellement, elle finalise des capsules vidéo à destination d’étudiants et de jeunes adultes sur la gestion de projet en développement durable. Au total, ce sont 19 vidéos de huit à neuf minutes retraçant la genèse de projets qui sont passés par toutes les phases de concrétisation, de la naissance de l’idée à la communication, en passant par la recherche de fonds.

«Souvent, les jeunes sortent de l’université avec un grand bagage théorique, mais se sentent un peu démunis face à la réalité extérieure», constate Stéphanie Reusse. L’objectif de ces vidéos est de leur donner une meilleure appréciation des étapes à franchir pour se lancer dans la gestion de projet. Des experts, spécialisés par exemple dans l’octroi de financement ou dans la communication, partagent leurs attentes face à de tels projets. «Nous avons également de nombreux témoignages qui partagent avec honnêteté les obstacles ou les échecs auxquels de telles démarches sont souvent confrontées, mais également leurs astuces pour réussir», ajoute-t-elle .

Un serious game sous l’égide de l’ONU

Autre projet en cours, la création d’un serious game sur l’adaptation au changement climatique dans les régions de montagne, qui sera présenté à Vienne sur mandat du Programme pour l’environnement des Nations unies. Mais en quoi consiste au juste un serious game? Stéphanie Reusse sourit et répond: «C’est un jeu qui a pour objectif d’apprendre quelque chose. A travers une expérience ludique, on peut amener les participants à entrer dans un rôle, par exemple celui d’un gouvernement, et de faire des choix dont on peut mesurer les conséquences directes.»

Principales réserves d’eau et de biodiversité de la planète, les régions de montagnes sont parmi les plus touchées par le changement climatique. Elles sont aussi, par conséquent, des actrices incontournables des adaptations à mener ces prochaines décennies. L’objectif de ce serious game est d’aider des acteurs de différentes régions du monde à mettre en place des outils de gouvernance, d’adaptation, de résilience et de collaboration. A Vienne, l’événement réunira des participants provenant des Carpates, des Alpes, du Caucase, des Pyrénées, d’Afrique de l’Est, des Andes et de l’Hindu Kush Himalaya.

Stéphanie Reusse n’en est pas à son coup d’essai. Elle et cinq camarades de sa volée de formation de conseillère en environnement ont mis sur pied une association et ont créé un escape game consacré à la transition écologique. Destiné aux jeunes, ce jeu a pour vocation de porter un regard plus systémique entre les différents domaines associés à l’écologie: notamment l’alimentation, la mobilité et l’énergie.

210928042_Troinex-JourneeDeveloppementDurable_10.jpgL’escape game réalisé par Stéphanie Reusse et ses collègues de formation circule en Suisse romande / Photo Jonathan Imhof

«Souvent, les gens ont l’impression que les dérèglements climatiques sont une réalité lointaine, tant sur le plan géographique que temporel», regrette Stéphanie Reusse. Avec cet escape game, les participants peuvent s’immerger dans une situation proche de leurs quotidien, avec des personnes qui leur ressemblent, à Genève, Yverdon ou Lausanne. L’idée n’est pas seulement de faire prendre conscience du problème et de créer un sentiment d’urgence,  mais aussi de donner des clefs pour participer au changement. Cet escape game circule à travers différentes communes romandes et lors d’événements.

Légumes de saison et camping dans l’Oberland

Stéphanie Reusse participe à une forme d’innovation. Mais en a-t-elle seulement conscience? Oui, répond-elle. «Ces dernières années, j’ai beaucoup déconstruit la notion d’innovation associée à la technologie. Pour moi, l’innovation n’est pas forcément quelque chose de révolutionnaire. Cela peut être de petites avancées, qui consiste à adapter des outils que nous utilisons déjà dans d’autres situations. Convaincre les Nations unies qu’un serious game peut remplacer un colloque de 2 jours sur une problématique environnementale, c’est pour moi quelque chose de novateur.»

Stéphanie Reusse s’engage aussi sur le plan personnel. Elle est aujourd’hui conseillère municipale à Bardonnex, dans une liste villageoise qui réunit différents courants de gauche, du socialisme à l’écologie. Cet engagement est également présent à la maison. Mère de quatre enfants — trois garçons de 19, 15 et 13 ans et une fille de 6 ans —, elle essaie d’inculquer des valeurs fortes à ceux-ci. «Je crois surtout que mes adolescents éprouvent une certaine lassitude en ce moment. Je sais qu’ils trouvent qu’on mange trop de légumes de saison en hiver et sont moyennement fan du camping dans l’Oberland bernois», lance-t-elle en riant. Elle espère toutefois qu’ils garderont quelque chose de ces valeurs lorsqu’ils devront, eux aussi, faire des choix.

En attendant, Stéphanie Reusse entend continuer à accompagner le plus de personnes vers la transition écologique. Et peut-être qu’en lisant son propre portrait, elle comprendra pourquoi Heidi.news s’est intéressé à elle.

Cette Exploration a été réalisée avec le soutien d’Open Geneva, qui organise la 6e édition du Festival d’innovation ouverte du Grand Genève du 17 au 27 mars 2022.

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