France 2030 est le nouveau plan d’investissements annoncé par Emmanuel Macron en octobre 2021, après plusieurs mois de rumeurs et de tergiversations. Il se chiffre à 34 milliards d’euros d’ici 2030, dont 3,4 milliards distribués dès 2022. Pour Emmanuel Macron, le plan permettrait de « continuer à développer de très grands champions français », notamment dans le domaine de l’innovation industrielle et technologique.
Pourquoi un nouveau plan ?
Le quinquennat d’Emmanuel Macron avait déjà été rythmé par différents plans d’investissements, puis par les aides publiques massives débloquées dans le cadre de la crise sanitaire – dont un plan de relance à 100 milliards d’euros en 2020. Le message envoyé par ce nouveau plan d’investissements publics est surtout politique : c’est un moyen de lancer sa campagne sans le dire à l’approche des élections présidentielles. Le plan France 2030 ressemble à une feuille de route pour un potentiel nouveau quinquennat.
Emmanuel Macron semble aussi avoir jugé que les milliards d’euros dépensés via le plan de relance de 2020 n’avaient pas assez marqué les esprits, parce qu’ils avaient été en partie redistribués au niveau des services publics et des collectivités locales via une multitude de petits projets. Le candidat-président a donc décidé de lancer un nouveau plan spécifiquement dédié aux industriels, en particulier à leurs projets de développements technologiques.
Comment le plan a-t-il été conçu ?
France 2030 est piloté directement par l’Élysée. Lors de l’examen du budget 2022, le gouvernement a surpris les parlementaires en faisant voter à la dernière minute, et quasiment sans débat, les premiers crédits de France 2030 (3,4 milliards d’euros pour 2022) et le principe d’un plan à 34 milliards d’ici 2030. Ce fut l’« amendement le plus cher de la Vème République », a dénoncé la députée socialiste Valérie Rabault.
Ni le Parlement, ni les élus locaux, ni la société civile n’ont été associés à la conception et à la définition des priorités de ce plan. « Il y a un manque de traçabilité, un manque de concertation, voire d’un aspect démocratique, dans la construction de ces politiques et de cette stratégie industrielle », note Anaïs Voy-Gillis, docteure en géographie, chercheuse associée au Centre de recherches sur les économies, les sociétés, les arts et les techniques de l’université de Haute-Alsace. Le plan France 2030 engage d’énormes sommes sur des secteurs industriels comme le développement de l’hydrogène. « On ne peut pas décider sans concertation de sujets qui vont nous embarquer pour 40 ans », met en garde la chercheuse.
Quels sont les secteurs ciblés par le plan ?
Décliné en trois volets (« mieux produire », « mieux vivre », « mieux comprendre ») et en investissements transversaux, France 2030 est un mélange entre catalogue et programme politique. Son fil conducteur semble être la foi dans la capacité de la technologie et des grands industriels à résoudre les problèmes économiques, sociaux, environnementaux et géopolitiques de la France.
Les plus gros financements vont à l’énergie : 5 milliards d’euros pour la décarbonation de l’industrie ; 2,3 milliards pour l’hydrogène ; un milliard pour le développement de petits réacteurs nucléaires modulaires ; 5,5 milliards pour les composants électroniques et la robotique ; 5,3 milliards pour l’investissement dans les start-up et les jeunes entreprises basées sur des techniques considérées comme fortement novatrices (la « deep tech »). Sont également prévus : 2,5 milliards pour l’automobile ; 1,2 milliard pour l’avion « zéro carbone » ; 1,5 milliard pour l’agroalimentaire ; 3 milliards pour la santé ; 600 millions pour la culture ; 1,2 milliard pour l’exploration spatiale ; 300 millions pour l’exploration des fonds marins ; 2 milliards pour les « matières stratégiques » (ressources naturelles rares ou difficilement accessibles mais indispensables à l’activité industrielle) ; et 2,5 milliards pour la formation. Le secteur numérique devrait bénéficier d’une grande partie des fonds dédiés à la formation, à la robotique, aux composants et aux start-up.
Une grande partie de ces secteurs (numérique, hydrogène, automobile, aéronautique, etc.) ont déjà été abondamment aidés depuis le début du quinquennat et encore plus depuis le début de la crise sanitaire, notamment dans le plan de relance de septembre 2020. Nadine Levratto, économiste à l’université Paris-1 et Paris-Nanterre, souligne une « double filiation, à la fois thématique et financière » entre les deux plans d’investissements : « Il n’y a pas de révolution thématique dans France 2030 par rapport au plan de relance, sauf l’espace et les fonds-marins. »
S’agit-il vraiment d’argent frais ?
Pas vraiment. En plus de reprendre bon nombre des objectifs du plan de relance, France 2030 partage également avec lui certaines enveloppes budgétaires. Il demeure cependant difficile de comprendre l’articulation entre les différents montants annoncés. Par exemple, les 2,3 milliards annoncés dans le cadre de France 2030 s’inscrivent-ils dans le cadre du plan de 7,2 milliards lancé en septembre 2020, ou s’y ajoutent-ils ? Cela n’est pas clair. Deux de ces 7,2 milliards avaient déjà été mis sur la table dans le cadre du plan de relance, mais il semble qu’une partie de ces crédits sera finalement comptabilisée dans France 2030. Le constat est le même pour le volet santé de France 2030, qui fait écho au plan « Innovation Santé 2030 » déjà annoncé en juin 2021.
Il semble donc bien qu’une partie des « nouveaux crédits » soit en réalité du recyclage d’anciens crédits ou d’anciennes annonces. Pour Nadine Levratto, « France 2030 est le prolongement de France relance ». La continuité financière entre les deux passe par « des transferts d’un plan à l’autre et des recompositions budgétaires de postes différents. »
N’est-ce pas au moins une bonne idée de financer la culture, la santé et l’agriculture ?
L’inclusion de la culture dans France 2030 est en fait trompeuse. Il ne s’agit pas de financer le secteur dans son ensemble ni de soutenir les professions artistiques les plus précaires et les plus durement touchées par la crise, comme le spectacle vivant. Il s’agit de subventionner des infrastructures de tournage et de postproduction qui seront utilisées notamment par les plateformes de streaming, et de soutenir le secteur du jeu vidéo, notamment pour le développement d’applications immersives.
Ce prisme pro-technologie et pro-industrie se retrouve à propos de l’alimentation et de la santé, les deux autres secteurs ciblés au nom du « Mieux vivre ». Il s’agit de financer le développement d’une nouvelle génération de médicaments et la santé numérique, non de soutenir les hôpitaux et les soignants. En matière agricole, les aides sont fléchées vers les biotech, la robotisation et la numérisation de la production agricole, pas vers le bio ou le soutien aux paysans.
Le plan France 2030 tient-il la route en matière de climat ?
France 2030 accorde à la décarbonation une place majeure, notamment dans son volet « Mieux produire ». En pratique, ce sont les solutions technologiques prônées par les industriels qui y sont systématiquement privilégiées : automobile et avion « zéro carbone », hydrogène et nucléaire. À travers le choix de soutenir massivement ces secteurs, le gouvernement vise à préserver au maximum le modèle commercial actuel des grandes entreprises, en subventionnant la transformation partielle de leur appareil productif, aux dépens de transformations structurelles (réduire notre recours à l’avion et aux véhicules individuels, consommer moins d’énergie ou concevoir des systèmes énergétiques plus décentralisés basés sur les renouvelables…). « Tout le volet sobriété est complètement éludé, et même oublié dans les plans », déplore Nadine Levratto.
Les bienfaits climatiques des technologies qui seront subventionnées sont douteuses, soit parce que certaines sont encore des vues de l’esprit (l’avion bas carbone), soit parce que leur généralisation aurait des effets en cascade qui annuleraient leurs bénéfices potentiels – comme le développement des agrocarburants pour l’avion « vert ». Elles créeraient aussi d’autres problèmes environnementaux, comme la gestion des déchets nucléaires ou les besoins accrus en minerais rares. Une partie des solutions mises en avant dans France 2030 restent basées sur les technologies du passé, puisqu’une partie des financements pour l’automobile continuera à aller aux véhicules hybrides et non seulement électriques.
Quels problèmes pose l’hydrogène ?
À en croire les discours des entreprises et des gouvernements, l’hydrogène serait déjà une technologie verte prête à l’usage. En réalité, seule une fraction de l’hydrogène produit aujourd’hui est réellement vert, le reste étant produit à base de gaz fossile avec des procédés fortement émetteurs de gaz à effet de serre. Généraliser les usages de l’hydrogène tout en le verdissant impliquerait de recourir massivement à l’électrolyse à base d’électricité renouvelable, au risque de nuire aux autres usages. En réalité, c’est surtout un levier pour augmenter la demande d’électricité nucléaire.
Pour Nicolas Berghmans, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), les plans de soutien à l’hydrogène annoncés partout en Europe ont été inspirés par l’Allemagne, où cette option technologique est sur la table précisément en raison du développement plus avancé des renouvelables. « Les autres pays ont suivi en se disant qu’il ne fallait pas rater le train, constate le chercheur. On est en train de mettre des milliards d’ici 2030, mais ce n’est qu’une pièce de la transition écologique. La question, si on investit ces montants-là, est de savoir si c’est cohérent avec les montants qu’on investit dans les autres changements nécessaires pour la transition énergétique », ajoute Nicolas Berghmans.
Qui va toucher les fonds de France 2030 ?
Le gouvernement érige les start-up au rang d’acteurs essentiels de la transition écologique et sociale. Au total, l’Élysée estime que 15 milliards des crédits de France 2030 seront destinés à des « acteurs émergents ». Pourtant, lorsqu’on regarde de plus près les entreprises cibles déjà annoncées, il s’agit dans la plupart des cas, soit de coentreprises formées par de grands groupes (comme Genvia, qui associe Vinci, Schlumberger et le Commissariat à l’énergie atomique, ou encore Verkor, financée par Renault, Schneider Electric et Capgemini), soit de petites entreprises fortement liées à des grands groupes par des relations commerciales et personnelles (plusieurs ont été fondées par d’anciens cadres de grands groupes) [1].
Les grandes entreprises du CAC40 risquent donc d’être les principaux bénéficiaires du plan, soit directement sur les secteurs où elles sont incontournables (nucléaire, automobile, aéronautique et spatial) soit indirectement via les « acteurs émergents » avec lesquelles elles sont associées.
Comment le plan France 2030 sera-t-il piloté ?
Le plan a été annoncé en octobre 2021 sans précision sur sa gouvernance et sur la manière dont ces fonds seraient distribués. Un comité de sélection a ensuite été mis en place pour sélectionner le chef d’orchestre du plan, doté du titre de « secrétaire général à l’investissement ». Bruno Bonnell – multi-entrepreneur dans le numérique, député LREM, siégeant au conseil d’administration de Danone et au conseil scientifique d’EDF – a finalement été nommé à ce poste fin janvier. Une nomination qui illustre le mélange des genres entre représentation de l’État, intérêts du CAC40 et complexe techno-financier qui semble présider l’ensemble de France 2030.
Est également prévu un empilement de comités et conseils divers : « conseil d’orientation stratégique » au niveau de l’Élysée, « comités ministériels de pilotage », « comité France 2030 » présidé par le Premier ministre, et enfin « conseil de surveillance de France 2030 ». On ne connaît que la composition (provisoire) des comités ministériels par secteur, qui illustre encore une fois la prépondérance des grands industriels et l’absence quasi totale de représentation de la société civile. On trouve ainsi au « comité Transport » Guillaume Devauchelle, vice-président de l’innovation et du développement scientifique du groupe Valeo, ou encore Joël Hartmann, vice-président de STMicroelectronics « au comité électronique et robotique » [2].
Les aides aux entreprises dans le cadre de France 2030 seront-elles soumises à des conditions sociales, fiscales ou environnementales ?
Le plan France 2030 vient s’ajouter aux nombreuses formes d’aides aux entreprises débloquées depuis le début de la pandémie au nom de l’urgence d’abord, puis de la relance ensuite. Mis à part quelques concessions toutes symboliques, le gouvernement a systématiquement refusé que ces aides massives, qui se chiffrent en dizaines de milliards d’euros au total, soient soumises à des conditions telles que l’interdiction du versement de dividendes ou de la présence dans les paradis fiscaux, la préservation de l’emploi, l’égalité entre femmes et hommes ou la protection de l’environnement et du climat. Il en va de même pour France 2030. Pourtant, les mêmes grandes entreprises qui ont bénéficié d’un soutien public massif depuis 2020 ont ensuite continué à supprimer des emplois ou à verser des dividendes record, comme Stellantis, Safran, ArcelorMittal ou Renault. Elles vont toucher de nouveaux fonds publics tout en affichant des bénéfices historiques en 2021.
N’est-il pas utile d’investir de l’argent public dans l’innovation pour réindustrialiser le pays ?
Malgré les apparences, l’objectif de France 2030 n’est pas vraiment de répondre aux défis économiques et industriels de la France, récemment mis en exergue par la crise sanitaire. D’abord, ces financements iront à des secteurs de niche, dans une logique de compétitivité et de création de « champions » à l’export. Il ne s’agit pas vraiment de relocaliser une partie importante de la production industrielle globale.
Le plan créera donc surtout au mieux des emplois d’ingénieurs, et très peu d’emplois industriels classiques. L’exécutif semble penser qu’il suffira de faire émerger quelques leaders mondiaux pour renforcer l’économie française dans son ensemble. « La pandémie a eu le mérite de faire prendre conscience de la situation de désindustrialisation de la France, mais pas forcément de prendre conscience du chemin qu’il y avait encore à parcourir pour réindustrialiser, qui serait forcément long, complexe et surtout coûteux », constate Anaïs Voy-Gillis.
La chercheuse remarque par exemple qu’« on a soutenu très fortement la filière automobile. Il y a eu un plan de 8 milliards d’euros, plus maintenant France 2030, au bénéfice d’un secteur dans lequel l’État a des participations, notamment au sein de Renault ». Et pourtant ces groupes continuent de supprimer des emplois en France, comme récemment dans les fonderies. « L’enjeu de la réindustrialisation, c’est d’être capable de recréer des écosystèmes industriels, c’est-à-dire non pas avoir seulement des activités d’assemblage ou des grands donneurs d’ordres sur le territoire français, mais de préserver aussi les activités avec une réflexion sur toute la chaîne de valeur », pointe Anaïs Voy-Gillis.
En refusant de conditionner ses soutiens financiers à des résultats concrets en termes d’emploi et de climat, et en négligeant de se prémunir contre le risque que cet argent soit utilisé pour verser des dividendes, le gouvernement s’est fié à la bonne volonté des géants du CAC40. À ses risques et périls.
Mélissandre Pichon, avec Olivier Petitjean
– Le site de la campagne Allo Bercy de l’Observatoire des multinationales, partenaire de basta !
– Lire la note de l’Observatoire des multinationales : France 2030 : 34 milliards pour qui et pour quoi ?