Isabelle Hébert (AG2R La Mondiale) : «… Leave a comment

Depuis plus de dix-huit mois, Isabelle Hébert a pris en charge la relation client du spécialiste de la protection sociale et patrimoniale en France, AG2R La Mondiale. L’occasion de faire le point sur sa vision en termes d’approche globale en direction des professionnels et entreprises après deux années de crise sanitaire.

Quels changements majeurs voyez-vous en cette période post-Covid dans les entreprises ?

Isabelle Hébert - crédit photo Laurent Villeret - AG2RIsabelle Hébert - crédit photo Laurent Villeret - AG2R

Isabelle Hébert*, directrice stratégie, digital, marketing et relation client, membre du comité de direction Groupe d’AG2R La Mondiale et présidente de Parité Assurance.
Crédit photo : Laurent Villeret – AG2R

Isabelle Hébert. De nouvelles problématiques se posent et l’on ne peut pas y échapper. Au-delà du télétravail que l’on doit désormais proposer à ses collaborateurs, le sujet immobilier et le sujet RH se mélangent de plus en plus. A cela s’ajoutent de nouvelles problématiques autour de la parentalité, des aidants… On le voit notamment à travers les appels d’offres que font les grandes entreprises, qui demandent de plus en plus de services d’appui aux aidants (parent vieillissant, enfant handicapé…), et plus largement, des services pour une meilleure qualité de vie au travail (QVT).

Comment y répondez-vous ?

I.H. Nous avons par exemple créé un programme dans lequel nous accompagnons le salarié aidant qui vit une situation de stress, mais également son manager. Car ce n’est pas seulement une question d’ajustement des horaires de travail ou d’être bienveillant en cas de moments difficiles, mais le manager doit penser à comment (ré)organiser le travail de toute son équipe.

Nous avons également une réflexion autour de l’absentéisme. Qu’est-ce que l’absentéisme dans le nouveau monde hybride ? De même pour le présentéisme : comment faire, si mentalement en tant qu’aidant, on est absent ? On voit que ces enjeux étaient compliqués avant-Covid, ils le sont encore davantage aujourd’hui dans la gestion de l’organisation du travail. C’est une nouvelle préoccupation très forte des DRH…

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D’autres sujets émergent-ils ?

I.H. Tout à fait, comme le sujet des femmes seniors en entreprise. Plusieurs livres sont sortis récemment autour de cette question (1) de l’invisibilité progressive des femmes, autant sociétale, familiale que médicale… Au niveau de l’entreprise, on voit bien qu’une femme qui perd son emploi au-delà de 50 ans a beaucoup plus de mal à retrouver du travail qu’un homme.

Si les complexités de salaires et de parité existent en début ou en milieu de carrière, elles sont encore plus présentes à un âge plus avancé. C’est un peu la triple peine dans le rapport à l’argent en quelque sorte, car il y a certes les inégalités salariales durant la carrière, mais on oublie les inégalités d’épargne et de retraite. Les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) parlent d’eux-mêmes : fin 2019, les femmes résidant en France avaient une pension de droit direct inférieure de 40 % en moyenne à celle des hommes. Cet écart était de 50 % en 2004.

Vous présidez d’ailleurs l’association « Parité Assurance », qui regroupe une centaine de femmes dirigeantes du monde de l’assurance. Quelles sont vos actions ?

Cette association travaille sur tous ces enjeux pour les femmes… Nous avons publié deux livres blancs sur la dépendance, afin de contribuer au débat public sur ce sujet de société et nous venons de réaliser un panorama des start-up françaises dans le secteur de la FemTech, qu’a piloté Anne Gradvohl, directrice de projets innovation du groupe Vyv.

Un petit rappel de ce qu’est la FemTech…

I.H. C’est un secteur de la technologie au service de la santé des femmes (règles, ménopause, sexualité, endométriose, santé…) qui se développe très rapidement aux Etats-Unis et dans les pays anglo-saxons. Aujourd’hui, en France, il n’y a pas de fonds d’investissement qui se sont créés sur ce sujet, seulement quelques initiatives au sein de fonds dédiés à la santé ou aux femmes au sens large. Et pourtant, cela concerne 50 % de la population… Certes, des structures de type Nabla (2) ont vu le jour ici, mais souvent, elles concernent les femmes de moins de 45 ans, encore en âge de procréer (contraception, fertilité…) et jamais la santé (gynécologie, maladies cardio-vasculaires, stress…). Rappelons-nous l’impact du confinement et du télétravail sur les femmes pendant la crise sanitaire…

Justement, post-Covid, tout ce qui concerne la santé mentale des actifs (burnout, fatigue, dépression…), est-ce un sujet que relèvent vos clients ?

I.H. Absolument. C’est un sujet qui explose dans les discussions que nous avons avec les employeurs. Ils ont démarré pré-Covid autour des enjeux à impact émotionnel comme l’aidance, la gestion des enfants et leur scolarité, la parentalité… Depuis la crise sanitaire, il y a clairement un tabou autour de la santé mentale qui est tombé (anxiété, troubles du sommeil, stress, perte de confiance, solitude…), autant chez les étudiants que les actifs ou les seniors…

Aujourd’hui, le sujet de l’équilibre mental ne peut plus être négligé (3), sachant que la santé de l’entreprise dépend de la santé des salariés, mais aussi de celle du dirigeant (stress, sommeil, nutrition…), qui reste encore un méga-tabou. D’où notre dispositif « Branchez-vous santé », à l’attention des DRH et des branches professionnelles, qui vise à prévenir le risque d’épuisement professionnel chez les chefs d’entreprise, salariés ou non. Car il faut savoir que le burnout du dirigeant va souvent jusqu’à la liquidation de l’entreprise, avant qu’il n’arrive à sortir la tête de l’eau. La crise sanitaire a largement accentué ce phénomène… Chez AG2R La Mondiale, nous avons également une nouvelle activité, suite au rachat mi-2021 de Domitys, le leader français des résidences services seniors, dans laquelle on voit aussi que le sujet du stress post-Covid est une réalité chez les seniors.

Le groupe AG2R La Mondiale protège 15 millions d’assurés en France où il accompagne une entreprise sur quatre. Cliquez pour tweeter

Comment cela impacte-t-il vos activités ?

I.H. Sous l’angle de la protection sociale, on voit la réalité de la vie des salariés car cela impacte inévitablement leur santé et les arrêts de travail. Un sujet qui deviendra plus intense si l’on va vers un allongement du temps de travail avec la réforme des retraites.

Ensuite, une réflexion se pose sur le marketing BtoB : comment avec le travail qui change, allons-nous nous adresser différemment aux entreprises ? On ne vend plus un « contrat santé », on doit comprendre et répondre à des besoins qui évoluent. Ces besoins peuvent être généraux ou très spécifiques à une industrie ou un secteur d’activité. Les entreprises veulent des solutions à une problématique soit de stress au travail, soit de risques psychosociaux ou encore d’absentéisme… Certes, elles voient la protection sociale au prisme de leurs enjeux de productivité et de fonctionnement de l’entreprise, mais la période particulière qui s’achève est pour nous l’opportunité d’avoir un autre discours vis-à-vis des clients BtoB. Un discours non plus seulement centré sur les produits, mais apporteur de solutions à leurs problèmes.

Au-delà d’être un assureur ou une mutuelle, cela veut-il dire que vous élargissez votre champ d’actions ?

I.H. Traditionnellement, nous vendions des contrats d’assurance prévoyance santé. De plus en plus, nous développons des approches servicielles sur lesquelles on se doit d’innover (ligne d’écoute sur le stress au travail, programme pour les aidants, téléconsultation, assistance aux personnes, etc.). C’est une nouvelle dynamique beaucoup plus centrée sur les moments plus complexes de la vie de la personne, qu’elle soit salariée ou retraitée. On réalise qu’on n’a pas seulement besoin de « remboursements », mais également d’accompagnement, de « care ». Ce que l’on a vécu durant la crise sanitaire – ce mélange entre vie pro et vie perso – accélère nettement ce besoin.

Pensez-vous que le droit du travail devrait s’adapter ?

I.H. Quand tout devient un peu flou, c’est là que c’est subtil pour le droit du travail. Qu’est-ce qu’un accident du travail à la maison par exemple, si on est en télétravail ? Est-ce que le travail intense à la maison ne pousse pas au présentéisme ? Faut-il continuer les réunions en visio avec sa caméra éteinte toute la journée ? Etc.

Je ne sais pas si l’on reviendra à des règles moins floutées, mais actuellement, beaucoup de questions restent en suspens… Et ce n’est pas le sujet de « fliquer » ou pas le salarié, c’est surtout de trouver le bon curseur pour continuer à « engager » les collaborateurs. Il faut lire « La civilisation du poisson rouge », de Bruno Patino, un livre qui date d’avant-Covid, mais qui rappelle à quel point on perd la capacité de distance. On ne sait plus ce qu’est l’attention, la concentration… On le voit aujourd’hui en entreprise : 45 minutes de réunion continue en visio, c’est devenu impossible. On ne peut pas être en surchauffe en permanence !

Le numérique crée des opportunités fantastiques certes, mais en même temps, il provoque clairement la question du risque médical et d’organisation professionnelle… Et ce n’est que le début. Je pense qu’on verra progressivement une croissance du coût de la santé dans les entreprises du fait de la multiplicité des pathologies pour les salariés, qu’elles soient physiques ou mentales, les deux se cumulant bien souvent.

Ce sont là des problématiques de digitalisation de la société que l’on ne peut plus ignorer…

I.H. En effet, l’entreprise ne peut plus juste dire : ce sont des cas isolés. Il y en a trop. Ce à quoi s’ajoute la santé mentale de l’entreprise elle-même, car dans un contexte où les salariés ne vont pas bien de façon massive, c’est toute l’organisation qui en pâtit (baisse de productivité, absentéisme…). L’entreprise est un corps social, ce qui impose de mesurer l’état d’esprit de ses troupes en multipliant les baromètres sociaux ou autres enquêtes de perception…

Cette prise de conscience est-elle réellement généralisée ?

I.H. C’est clairement visible dans les appels d’offres que nous recevons. Il y a dix ans, on parlait tarifs de remboursement de frais dentaires ou d’optique ; aujourd’hui, on nous demande beaucoup plus en matière de QVT. Que ce soit de la part des grands groupes, des organisations syndicales, de la CGPME, du Medef… Désormais, la prise de conscience est globale et ce n’est pas juste pour valoriser la marque employeur. Pour le succès de l’entreprise, les directions veulent que leurs salariés s’en servent. Dans cette protection des salariés, le digital a toute sa place et est utile, car le seul physique ne suffit pas. Mais c’est l’équilibre subtil entre « trop peu » et « trop ».

Que permet concrètement le digital ?

I.H. Il permet de multiplier les contacts, les rappels… comme de parler d’un sujet de différentes façons à des coûts acceptables. Avant, on faisait par exemple une jolie plaquette pour inciter à arrêter de fumer ; aujourd’hui, on peut proposer un accompagnement personnalisé sur le long terme, on peut créer des communautés et mieux informer autour d’une problématique donnée. Le digital démultiplie la capacité à faire de la prévention et crée de l’engagement. On ne peut plus aujourd’hui faire des programmes en santé qui ne soient pas de l’e-santé, y compris dans les Ehpads ou les chaînes hospitalières (suivi des patients, compliance, téléconsultation)… Cela donne des leviers qui n’existaient pas auparavant, même si tout ne peut pas être fait en digital. Le numérique permet un accès aux soins dans les interstices, qui est utile sans être en remplacement. Depuis la crise sanitaire, tout le monde en a pris conscience.

De ce fait, avez-vous multiplié les partenariats avec de nouveaux acteurs ?

I.H. Parce que très liés à la santé au travail et du fait de ce lien fort avec les DRH, nous étions déjà sur ces sujets de QVT en partenariat sur l’accès aux données, la téléconsultation, l’assistance, le stress du dirigeant… Nous sommes chef d’orchestre en quelque sorte d’un hub de services. Nous avons donc de nombreux partenariats avec des opérateurs, des plateformes médicalisées… Mais ce n’est pas matérialisé sur une plateforme technologique, ce sur quoi nous travaillons aujourd’hui. Cette approche des API (et de la plateformisation) doit pouvoir être déclinée sur notre activité de santé et de prévoyance, comme sur l’épargne d’entreprise. On doit pouvoir y accrocher tous nos services et notre univers de partenaires, ce qui sera plus simple d’accès pour nos clients. La santé de l’entreprise dépend de la santé des salariés, ce n’est pas nouveau évidemment, mais c’est devenu évident depuis la crise sanitaire.

Au-delà de cette plateforme de services, d’autres transformations sont-elles en cours ?

Jusqu’à présent, nos clients nous voyaient comme un opérateur de protection sociale, mais depuis le confinement, nous avons réalisé que nos clients TPE-PME avaient aussi besoin de services d’autres natures. Au-delà de notre univers, nous réfléchissons donc à un portail de services divers (une « TPE-PME Factory ») que nous pourrions leur proposer… autour de la cybersécurité, la sécurité au travail, les documents uniques, les crédits, etc. Avec un tel portail de solutions, notre objectif est de leur apporter le plus de valeur possible.

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Comment intervient votre fonds d’investissement ALM Innovation en la matière ?

I.H. Sa mission originelle était d’accompagner des start-up sur des périmètres en lien direct avec la stratégie du Groupe et nos métiers. Aujourd’hui, nous regardons aussi à investir dans de jeunes start-up utiles à nos clients, notamment celles qui proposent des services aux TPE-PME, et que l’on pourrait exposer dans notre « vitrine » au sens large. Nous cherchons donc à élargir le champ de nos partenariats…

Nous avons la même approche pour les start-up de la Silver Economie, sur l’offre de services aux seniors, public pour lequel nous sommes déjà très actifs (contrat santé, épargne, retraites, immobilier…). A petite échelle, nous disposons déjà d’un espace collaboratif qui va dans ce sens (Les Trouvailles de Pat’), où des start-up disposent d’une page dédiée pour présenter leurs services, et où entreprises et particuliers peuvent les tester à prix réduit, puis les évaluer, mais nous voulons aujourd’hui aller plus loin… de façon à sélectionner les services les plus appréciés pour les mettre à disposition de l’ensemble de nos clients via une nouvelle plateforme technologique. Tel un tiers de confiance, nous serons garants de nos choix.

Au sein de l’écosystème d’innovation en santé, participez-vous aux différentes initiatives lancées récemment comme Future4Care, PariSanté Campus, Villa M… ?

I.H. Pour l’instant, nous échangeons uniquement avec certains d’entre eux au sujet des start-up dans lesquelles nous pourrions investir ou à déployer pour nos clients… Nous venons par exemple d’investir, avec d’autres groupes du secteur, dans Wandercraft, le leader mondial de la robotique dynamique appliquée aux exosquelettes de marche… Nous souhaitons ainsi les accompagner dans le développement des usages et leur déploiement auprès de nos communautés d’assurés et de professions médicales.

De même, nous avons investi dans MySofie, une application gratuite qui, en quelques clics, vous permet de connecter sa mutuelle, sa sécurité sociale, mais également celles de son conjoint, enfants, parents… et de suivre l’ensemble de ses remboursements.

Comment jugez-vous le potentiel des start-up dans votre domaine ?

Au départ, nous avons regardé cela de loin… Puis, nous avons investi… Aujourd’hui, nous avons envie de co-construire ensemble car nous ne sommes pas juste une banque. C’est un apport mutuel, notre expertise et notre portefeuille de clients d’un côté, une agilité et de bonnes idées de l’autre. Si cela crée de la valeur en commun pour nos clients, c’est gagnant-gagnant pour tout le monde.

 

(*) Franco-suisse, Isabelle Hébert est Normalienne (École Normale Supérieure Paris-Saclay), diplômée de l’École Nationale de la Statistique et de l’Administration Économique (Ensae) et titulaire d’un Diplôme d’Études Approfondies (DEA) d’économie. Après une carrière internationale, notamment aux États-Unis, elle rejoint en juin 2020, AG2R La Mondiale en qualité de membre du Comité de Direction Groupe en charge de la stratégie, du digital, du marketing et de la relation client. Depuis mai 2022, Isabelle Hébert est membre du Comité de Direction du groupe en charge de la distribution omni-canal et de la relation client. Elle est par ailleurs Présidente de l’association Parité Assurance.

 

(1) « Qui a peur des vieilles ? » de Marie Charrel ; « Vieille, c’est à quelle heure ?! » de Sophie Dancourt ; « Ainsi soient-elles » de Ema Martins.

(2) L’idée de cette application est de permettre aux femmes d’échanger en direct avec des praticiens et des professionnels de santé, de tenir un journal dans lequel elles centralisent leurs données médicales et en assurent le suivi et de consulter une série de ressources et contenus qui pourraient leur servir, à commencer par la contraception.

(3) Mon Sherpa, Fondation Fondamental, collectif MentalTech

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