Et pourtant, la reconnaissance des bienfaits de l’équitation sur la santé remonte à ses origines. Xénophon, philosophe grec du IVe s. av. J.-C. et disciple de Socrate, évoquait déjà la valeur thérapeutique du cheval : « Le cheval est un bon maître, non seulement pour le corps, mais aussi pour l’esprit et pour le cœur. »
Avec sa particularité de pouvoir être monté, le cheval peut être employé comme un outil thérapeutique visant à améliorer le quotidien de malades atteints de diverses pathologies. Avec des exercices ciblés, sur et à côté du cheval, les muscles du patient sont mobilisés et fortifiés, lui permettant aussi d’être pleinement acteur de sa rééducation. C’est le propre de l’hippothérapie.
L’hippothérapie consiste en une rééducation fonctionnelle qui s’intéresse principalement au maintien et au développement des fonctions motrices et sensorielles par l’utilisation du mouvement tridimensionnel du cheval. Ses apports sont particulièrement intéressants pour des patients atteints de troubles physiques (et parfois aussi psychopathologiques).
Elle a notamment démontré avoir toute sa place dans les programmes de réadaptation physique en cas de paralysie cérébrale, troubles du spectre de l’autisme, sclérose en plaques, traumatismes crâniens, lésions de la moelle épinière ou encore accidents vasculaires cérébraux. Cette liste est non-exhaustive.
Les victimes d’AVC, un public particulièrement adapté
L’accident vasculaire cérébral (AVC) consiste en un arrêt brutal de la circulation sanguine au niveau d’une partie du cerveau, soit par l’obstruction d’un vaisseau sanguin, soit par sa rupture. On estime à plus de 140 000 le nombre de personnes atteintes d’un AVC chaque année. Il s’agit, avec 40 000 morts comptabilisés par an, de la seconde cause de décès chez la femme et la troisième chez l’homme. Il s’agit également de la première cause de handicap non traumatique en France, avec 30 000 patients qui gardent des séquelles lourdes.
Dans la majorité des cas, les conséquences d’un AVC sont une paralysie de la moitié du corps, appelée hémiplégie, des troubles de l’équilibre, du contrôle moteur et de la sensibilité. La motricité globale, comprenant la coordination, l’équilibre statique et dynamique par exemple, est donc souvent touchée.
La rééducation aurait un enjeu majeur sur la récupération post-lésionnelle en permettant de modifier la physiologie et l’organisation du cerveau, par des phénomènes de plasticité cérébrale. Dans le processus de réapprentissage utilisé classiquement après un AVC, les masseurs-kinésithérapeutes travaillent en intensité, en répétition et en « tâche orientée », c’est-à-dire par l’apprentissage d’une tâche précise.
L’intérêt spécifique après un AVC
L’hippothérapie semblerait être complémentaire à la kinésithérapie classique dans la récupération post-AVC, puisqu’elle vise à développer ces mêmes points : assis sur le cheval pendant environ 30 minutes ininterrompues, le patient travaillera d’une part en intensité, d’autre part en répétition, mais aussi en tâche orientée selon l’exercice proposé par le thérapeute.
Son efficacité a été étudiée, et les travaux dans ce domaine sont unanimes sur ses bienfaits. Une revue de la littérature datant de 2017 a ainsi recensé une amélioration de la fonction motrice, de la symétrie musculaire, du mouvement pelvien, de l’équilibre et de la qualité de vie chez les patients post-AVC. Une autre recherche a notifié les mêmes améliorations avec, en plus, une amélioration du transfert du poids du corps, de la stabilité articulaire, de la contraction musculaire, mais aussi de la confiance en soi. Vitesse de marche et longueur des pas peuvent également en bénéficier.
L’utilisation du cheval dans le cadre de ces pathologies apparaît donc comme un excellent outil de rééducation.
Des limites qui peuvent être dépassées
Cependant, cette pratique présente plusieurs limites. Il y a des interdictions et des points de vigilances à prendre en compte avant toute prise en charge : escarres, plaies ouvertes, épilepsies non contrôlées, syndrome pica (trouble de l’alimentation), etc. Un avis médical et une ordonnance de non contre-indication à la pratique de l’hippothérapie sont obligatoires. Il faut en effet au minimum un contrôle de la tête et du tronc pour bénéficier de cette thérapie.
Ensuite, cette discipline nécessite la mobilisation d’une équipe entière (trois personnes) pour prendre en charge un unique patient : le thérapeute donne les consignes et sécurise le patient, le manieur tient le cheval en s’assurant de son bien-être et l’accompagnateur aide au bon déroulement de la séance.
Elle requiert également un lieu spécialisé, que ce soit un centre équestre, un centre de rééducation pouvant accueillir des chevaux, ou bien des chemins de promenade.
Enfin, l’hippothérapie représente également un coût important lié aux frais de gestion d’une écurie (nourriture, soins vétérinaires, maréchalerie, etc.).
Il est possible de contourner certaines de ces limitations. Une simulation du mouvement tridimensionnel du cheval pourrait ainsi être une bonne alternative : elle a pour objectif de reproduire les mouvements du dos du cheval dans plusieurs plans. Des études ont démontré son efficacité, et l’activation musculaire semblerait même supérieure avec le simulateur qu’avec l’hippothérapie réelle.
Certaines recherches ont montré que cette différence de résultat pourrait s’expliquer par le fait qu’un simulateur puisse être réglé de manière identique pour tous les participants, tandis que le pas du cheval n’est pas un métronome et se modifie au gré du temps. De même, la largeur du cheval, sa taille, ses caractéristiques physiques et biomécaniques feront de chaque séance d’hippothérapie une séance unique et non reproductible.
Paradoxalement, c’est d’ailleurs l’un des atouts de l’hippothérapie : le traitement peut être adapté en fonction des avancées du patient, en modifiant le rythme et la foulée du cheval, en ajustant son rythme de marche – et cela tout au long de la séance ou d’une séance à l’autre. Aucune machine ne peut encore remplacer le mouvement d’un cheval, ni même la relation homme-cheval qui peut se mettre en place.
Quelles perspectives pour cette pratique ?
L’hippothérapie semble se développer en France, avec notamment la parution d’un ouvrage spécialisé, « Hippothérapie : les fondamentaux », qui recense les éléments indispensables pour mener à bien une séance. Une seconde publication sur la rééducation physique assistée par le cheval, écrit par Léa Meyer, sera également bientôt disponible ; l’autrice y traite le sujet sous l’angle kinésithérapique dont elle est spécialiste. Elle travaille à la création d’un diplôme universitaire en France, qui permettrait aux professionnels de santé de se former – et à un plus grand nombre de patients de bénéficier de cette alternative thérapeutique novatrice.
En parallèle, un essai thérapeutique reliant un laboratoire pharmaceutique, le service neurologique d’un hôpital accueillant régulièrement des patients post-AVC et un centre d’hippothérapie est en train de voir le jour au Centre hospitalier Sud Francilien (Corbeille-Essonne).
Cependant, si l’hippothérapie prend petit à petit son essor, les endroits où il est possible de la pratiquer restent relativement restreints. On peut citer par exemple de grands centres spécialisés qui la proposent, comme Equiphoria, à La Canourgue, ou Le Domaine d’Hippios, à Montceaux.
À côté de ces structures dédiées, certains professionnels de la santé ont également choisi de se spécialiser dans cette pratique en libéral, mais ils sont encore trop peu nombreux à l’exercer en France pour être en mesure de couvrir tout le territoire.
S’il est aujourd’hui difficile d’estimer combien de patients ont pu bénéficier de cette thérapie, ce nombre va croissant. Il s’agit en effet d’une thérapie pertinente pour des types de pathologies très variés (en lien avec le rachis, la kinésithérapie respiratoire, la gynécologie, la chirurgie, etc.) allant au-delà de la neurologie.
Diplômée de l’IFMK de Strasbourg (Unistra), Capucine Schaefle est également cavalière expérimentée et a dédié son mémoire de recherche à l’hippothérapie, qui est à la jonction de ses deux domaines de compétence. Elle est à l’origine de cet article et a largement contribué à sa conception, sa rédaction et sa relecture.
Joffrey Zoll, MCU-PH en physiologie, faculté de médecine, Université de Strasbourg
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.