Alors que la France est confrontée à une crise épidémique depuis deux ans, la santé apparaît comme un enjeu de société. La santé, l’hôpital constituent un défi important pour neuf Français sur dix. Plus des deux-tiers des électeurs déclarent même en faire un élément clé de leur vote à la prochaine élection présidentielle. Cependant, huit Français sur dix estiment que le sujet de la santé et de l’accès aux soins n’est, pour l’instant, pas suffisamment bien traité par les candidats en campagne. L’Institut Montaigne met donc en lumière plusieurs priorités pour le prochain quinquennat, autour de l’innovation technologique et thérapeutique, de la prévention, du bien vieillir… Entretien avec Laure Millet, responsable du programme santé à l’Institut Montaigne.
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Quel regard portez-vous sur le système de santé français ?
L’épidémie a mis en lumière un certain nombre de dysfonctionnements, au cours des premiers mois de la crise sanitaire notamment, en termes d’approvisionnement en produits anesthésiants, masques, surblouses… La faute à la fragilité de certaines chaînes d’approvisionnement dans le secteur de la santé.
Mais le système a tenu…
Oui, en grande partie grâce à la mobilisation des soignants. En compensation, le Ségur de la santé leur a apporté des revalorisations salariales. Mais toutes les réponses attendues n’ont pas été satisfaites, notamment en ce qui concerne la qualité de vie au travail, ne freinant ainsi pas les démissions à l’hôpital.
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Que faire alors ?
Avec le Ségur de la santé, on a mis huit milliards dans les revalorisations salariales. Mais cela n’a pas réduit pour autant la crise de vocation chez les soignants. Les pouvoirs publics doivent donc réfléchir à la manière de redonner du sens au métier de soignants, en les interrogeant sur comment améliorer leur quotidien. Pour les soignants, le facteur financier n’est pas le premier moteur du choix de la profession. Ce qui compte d’abord, c’est d’avoir un métier faisant du sens, de bien remplir sa mission, de bien soigner.
Dans votre note, vous insistez aussi beaucoup sur la prévention des maladies. Pourquoi ?
Au-delà de la crise sanitaire, la France a effectivement pris beaucoup de retard en matière de prévention. Il faut apprendre aux Français à rester en bonne santé. Or, notre système de soins est construit autour du curatif.
Des campagnes de prévention existent quand même…
Certes, des dépistages sont mis en place, à des âges clés, contre les cancers par exemple. Mais nous ne sommes pas dans une démarche préventive au global. Un retard a été pris. Il faut le rattraper. Il faut cesser de considérer la prévention comme une dépense, mais plutôt comme un investissement sur le long terme.
La suppression du nombre de lits dans les hôpitaux fait beaucoup débat actuellement. Qu’en pensez-vous ?
C’est une question polémique. Mais cette suppression de lits ne veut pas nécessairement dire que la qualité de la prise en charge diminue. En effet, pour certaines pathologies, les patients peuvent, désormais, être pris en charge à domicile. Ils n’ont plus besoin d’être hospitalisés pour certains traitements. Cela se traduit donc par moins de lits dans certains services. Mais avec la crise sanitaire, les débats ont surtout porté sur le nombre de lits disponibles en soins intensifs.
Laure Millet, responsable du programme santé de l’Institut Montaigne et auteure de la note « Santé 2022 : tout un programme ». © DR
La crise sanitaire a permis le développement de la télémédecine. Une bonne chose pour vous ?
La télémédecine ne résout pas tout. Consulter physiquement son médecin généraliste ou un spécialiste reste très important. Mais sur un parcours de soins, utiliser la téléconsultation permet d’offrir un suivi bien plus régulier. C’est un plus, notamment en matière de prévention. Il est donc important de dégager du temps aux médecins pour qu’ils se forment à ces nouveaux outils, les utilisent… La téléconsultation doit s’imbriquer dans les parcours de soins.
Le déficit de médecins s’amplifie. Comment lutter contre les déserts médicaux ?
À l’Institut Montaigne, nous sommes très soucieux de regarder comment les choses se passent à l’étranger. Faut-il obliger les jeunes praticiens à s’installer dans des territoires sous-dotés ? Les pays qui ont mis en place des contraintes à l’installation des médecins n’ont pas réussi à résoudre le problème des déserts médicaux. Cela n’est pas une mesure efficace. Au contraire, elle peut « désinciter » les jeunes à suivre ce type de formation. Quand vous faites dix ans d’études et qu’après, vous savez que vous allez devoir vous installer dans un endroit avec lequel vous n’avez aucune attache, c’est assez contre-productif.
Que proposez-vous ?
Nous préconisons plutôt, en attendant que le numerus clausus produise ses effets, la délégation de tâches vers d’autres professionnels de santé (infirmiers, pharmaciens…). Cela nécessite de la formation et une acceptation de la part des médecins de déléguer certaines missions à d’autres professionnels de santé.
Depuis plusieurs années, la France est en retard sur la prise en charge du grand âge. Quelles sont vos préconisations ?
Les pays nordiques peuvent nous inspirer. Ils sont dans une logique de « réautonomisation » de la personne. Alors qu’en France, on est beaucoup dans l’aide à domicile, pour faire à la place, dans les pays nordiques on apprend à la personne âgée à refaire certaines tâches du quotidien, parfois différemment, afin de freiner la perte d’autonomie. Celle-ci est donc réversible. Mais quand l’autonomie n’est plus là, il est important de revoir l’attractivité des métiers du grand âge.