Pour la spécialiste en communication Armelle Nyobe, même les innovations les plus utiles ont besoin d’une stratégie de communication bien adaptée pour connaitre du succès.
Selon le CHUM (Centre hospitalier de l’université de Montréal), l’innovation se définit comme toute amélioration des pratiques, des technologies ou des façons de faire ayant pour but de créer de la valeur et, in fine, améliorer la santé et le mieux-être des populations et des intervenants, le tout intégré dans les pratiques de façon durable et généralisée.
Autrement dit : toute démarche novatrice permettant d’agir sur l’état de santé d’un individu (ou ses déterminants), en prévenant son altération, en le restaurant ou en l’améliorant est considérée comme une innovation en santé. C’est-à-dire une démarche qui apporte un bénéfice à la personne.
“Si l’innovation est vécue et perçue comme une révolution d’un point de vue technologique, si elle est admise et acceptée comme devant faciliter la vie, l’adhésion sociale ou sociétale ne va pas de soi.”
Armelle Nyobe
Dans certains cas, l’innovation en santé a pour but de démédicaliser les services afin que le patient/l’usager soit acteur de sa santé; qu’il en soit le maître dans une certaine mesure. Ainsi, l’innovation permet :
- De désengorger, de réduire la pression sur les services de santé. Il s’agit d’éviter autant que possible les problématiques de congestion ou de « pathoplastie », à savoir la dimension pathogène directement en relation avec le milieu environnant. C’est pour cela que dans certains établissements sanitaires, quand on ne procède pas suivant une approche ambulatoire, on privilégie le triage afin de classer et de traiter les cas selon l’urgence ou le degré de gravité. Dans ce contexte, il peut arriver qu’un patient soit invité à rentrer à domicile si son cas n’est pas jugé critique ou prioritaire. Bien évidemment, une telle approche n’est pas sans risque, mais elle n’en demeure pas moins efficace et efficiente.
- De remettre le patient au centre de sa santé : très souvent il en est un spectateur passif. Il subit. Et s’il n’est pas éduqué et alerte, il ne comprend pas ce qui se passe et se contente de ce que dit le docteur. Ça me rappelle l’époque où l’on se remettait corps et âme au « magister dixit » : le maître à dit. Son propos était considéré comme une parole d’Évangile, c’est-à-dire vraie et incontestable. D’ailleurs gare à celui qui avait l’outrecuidance de dire le contraire.
Armelle Nyobe. Crédit photo : A. Nyobe.
Plus sérieusement, il est aujourd’hui largement admis que le soin n’appartient pas au soignant. C’est une fonction soignante en partage. C’est ce que nous créons ensemble, en tant que chercheurs, professionnels de la santé, mais aussi le sujet patient. En effet, un patient qui comprend les processus de sa maladie et qu’on responsabilise dans le suivi de son traitement a plus de chance de s’en tirer à bon compte que celui qui subit passivement le traitement. En clair, il est plus indiqué de veiller à construire un « lien capacitaire », lequel donne au sujet malade les moyens physiques et psychiques de dépasser sa maladie. Bien évidemment ceci est uniquement valable pour certaines pathologies.
Prise en charge du diabète
Pour illustrer davantage mon propos à ce niveau, je voudrais prendre un exemple d’innovation dans la prise en charge du diabète. Lorsqu’on vous a diagnostiqué un diabète, disons type 2, le docteur vous prescrit le médicament qui vous aide à réguler le taux de sucre dans votre sang.
En principe, il doit également vous expliquer les aliments que vous devez éviter de consommer et vous faire un topo sur la nouvelle hygiène de vie que vous êtes tenu d’adopter. Ça c’est dans le meilleur des mondes (j’aborderai, les gaps en matière de communication plus loin).
Plus largement et toujours suivant le meilleur des mondes, le médecin traitant devrait vous entretenir sur le suivi que nécessite votre nouvel état: du contrôle régulier de votre glycémie qui doit rester dans les limites des radars pour vous éviter un tête-à-tête avec le diabète de type 1. C’est à ce niveau précis que l’innovation intervient : le glucomètre.
Son invention et son accessibilité permettent de vérifier soi-même son taux de sucre à domicile. Plus besoin donc de se rendre à l’hôpital pour tester sa glycémie. Depuis la maison, il est possible de faire le monitoring régulier de son état. On prend ses médicaments si besoin est. Et tant que tout est sous contrôle, exit le passage à l’hôpital…. à moins que ce ne soit pour un contrôle plus poussé.L’innovation est donc en ce sens importante. Un diabétique consciencieux aura à cœur de veiller à ce que la courbe de suivi de sa glycémie soit descendante et se normalise à un intervalle admis. Il y a même des glucomètres qui vous donnent les tendances par semaine ou par mois.
Quand vous faites ce qu’il faut à la maison, plus besoin d’aller au poste de santé. Et votre «no show», c’est du temps, mais aussi des ressources humaines et financières que le service de santé fournira à un cas beaucoup plus “pressant” que le vôtre (nous n’essayons pas de simplifier votre cas. Merci de votre compréhension).
Réticences, spéculations et supertitions
Je noterai cependant que l’innovation n’est pas toujours bien perçue ou acceptée. Il existe des domaines où cette démédicalisation passe mal. En fait, il convient de préciser que la santé est un des domaines qui font le plus face aux réticences, aux spéculations, aux superstitions.
Comme le dit si bien Saül Karsz dans Affaires sociales, questions intimes, « la santé est une thématique qui intéresse un nombre considérable de spécialistes et de non-spécialistes, suscite toutes sortes de revendications, campagnes d’information et aussi de désinformation systématiques, plateformes politiques, recherches dans de multiples domaines scientifiques, écrits de divulgation, émissions radio et TV, cursus et formations, extrapolations souvent recevables en science-fiction. ».
Parce qu’elle a un impact direct sur notre bien-être, tout ce qui y est relié relève bien souvent plus du fantasme que de la réalité. Cela est en encore plus vrai en Afrique où pour tout et n’importe quoi, on a vite fait de parler de sorcellerie et de mauvais sort.
Mais revenons à l’innovation; je voulais juste évoquer la difficulté d’innover dans un domaine trop souvent pris en otage par des superstitions, du mysticisme, des blocages culturels, des rumeurs infondées, etc.
Cas de l’autotest du VIH
En 2019, je suis tombée sur des autotests du VIH dans un supermarché en Suisse. L’OMS a fait la recommandation en 2016 de le vulgariser comme outil de dépistage supplémentaire. J’ai d’abord pensé que c’était un peu kitsch comme démarche. Je me suis demandé « Qui va faire son test à la maison? Ne risque-t-on pas de se retrouver dans un face-à-face silencieux, à regarder longuement le test et à se dire que tout compte fait? Autant aller dans un centre de santé! »
Mais à bien y réfléchir, le face-à-face est peut-être stressant, mais le côté confidentiel de la démarche est rassurant. En tout cas, beaucoup de personnes saluent aujourd’hui le surplus d’anonymat et de confidentialité qu’apporte cette innovation. Ces deux dimensions n’ont de pertinence que lorsque vous êtes à la maison.
Car à la pharmacie ou en grande surface, l’anonymat et la confidentialité sont potentiellement des vœux pieux. Plus encore si vous y êtes régulier. Le tenancier ou la caissière vous reconnaîtra. Il y a aussi la file d’attente quand vous êtes à la caisse; vous voyez où je veux en venir. On dira juste “laissez parler les gens! “
Pour information, l’autotest est « fiable à 99%, à condition de respecter un délai de 3 mois entre la dernière prise de risque et la réalisation du test ». Autant dire que tant que vous êtes dans la fenêtre temporelle, le résultat sera fiable à 99%. De nombreuses études ont montré que l’auto-dépistage du VIH ne constitue pas un facteur bloquant car n’étant pas décourageant. Bien au contraire.
- Il « multiplie de façon significative le recours au dépistage du VIH chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et chez les partenaires masculins des femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher ;
- augmente le recours au dépistage du VIH chez les couples, notamment chez les partenaires de sexe masculin des femmes enceintes ou des femmes en post partum »
L’autotest du VIH en Afrique (Sénégal)
Lors d’un échange, j’ai appris que les autotests VIH sont disponibles au Sénégal. Cela s’est fait dans le cadre d’un projet dont la cible est en partie les populations clés (les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les travailleuses du sexe, les routiers, etc.) et leur conjoint. En gros, des personnes à la “sexualité à risque”, car elles sont plus susceptibles d’être infectées au VIH, et dont il faut s’assurer de l’état de santé. Le test est gratuit, ce qui fait que la contrainte financière est levée.
Je me suis laissé aller à une extrapolation. Le projet serait-il réplicable à l’échelle nationale? Si tel est le cas? Aura-t-il l’adhésion des populations ? Pas sûr!
Le contexte fortement religieux du Sénégal obligerait les promoteurs d’un tel projet à marcher sur des œufs même si l’intention est noble. Aussi, il y a la peur ou la honte. C’est déjà un défi d’acheter des préservatifs, des lubrifiants, la pilule du lendemain ou encore un test de grossesse, je vous laisse donc imaginer le malaise concernant l’achat ou la distribution d’un autotest VIH.
La question du “placement” se pose aussi : où sera-t-il vendu? En pharmacie, en grande surface, via un distributeur quelque part au fond de ces deux points de vente ? À quel prix? Je suis sûre que mes collègues marketeurs peuvent trouver le parfait équilibre, sauf que ce ne sera pas suffisant. Il faudra plus que du marketing, une belle affiche, un prix raisonnable…. Il faudra impérativement y ajouter une dimension sociale (marketing social) si l’on veut avoir une chance de susciter l’adhésion du grand public.
Le chaînon manquant : la communication
De façon générale, même si l’innovation est vécue et perçue comme une révolution d’un point de vue technologique, si elle est admise et acceptée comme devant faciliter la vie, l’adhésion sociale ou sociétale ne va pas de soi. Ce n’est pas une évidence pour tout le monde car, nombre de paramètres entrent en considération bien plus que « vouloir changer la vie des gens!»
Pour ce qui est de l’autotest VIH, il ne faudrait pas commettre l’erreur de le vendre comme s’il est un produit de consommation courante. Il ne s’agit pas d’en encaisser de l’argent comme si on vendait du pain ou une bouteille d’eau minérale.
Sans trop se prendre au sérieux, il faudrait prendre la juste mesure (qui, reconnaissons-le, n’est pas facile) de l’acte de celui qui l’achète ou sollicite la possession d’un autotest VIH. La démarche n’étant pas facile, il faudrait de l’empathie et une démarche constructive
Donner la bonne information : au moment de l’achat, même si le dispositif est simple d’utilisation (test sanguin ou oral), il est important d’expliquer comment l’utiliser, user de pédagogie, prendre le temps d’écouter si nécessaire et de rassurer. Si on ne sait pas (oui ça peut arriver), il vaut mieux orienter la personne vers quelqu’un de compétent ou simplement vers un poste de santé.
Orienter : Il s’agit ici de s’assurer qu’en cas de résultat positif, la personne sache où aller pour sa prise en charge. C’est le plus difficile ici je crois. Comment assurer la transformation ? De la connaissance de son état à la décision de commencer un traitement qui depuis longtemps fait ses preuves, il y a là un défi qu’il ne faut pas sous-estimer.
Éviter les gestes et propos stigmatisants : sans tomber dans les généralisations abusives, je peux affirmer sans risque de me tromper que la formation du personnel de santé laisse souvent à désirer. Il n’est pas rare que certains soient indexés pour leur manque de tact et plus largement de professionnalisme. Il est important d’être neutre et bienveillant. Sur la liste des personnes aux comportements parfois désobligeants, les caissiers et parfois les pharmaciens qui par leur attitude peuvent frustrer un patient/client; on prend le risque de perdre une personne traitée.
Sensibiliser les leaders d’opinion
Dans la perspective d’une commercialisation ou d’une distribution à l’échelle nationale au Sénégal par exemple, iI sera important déjà de sensibiliser les leaders d’opinion (chefs religieux, coutumiers, prêtres, etc.) qui sont des « prescripteurs » à fort taux de pénétration. Une campagne de communication ne sera la mieux exécutée que s’ils y adhèrent. Dans le cas contraire, il y a fort à parier que personne ne suivra.
Dans l’élaboration des messages de communication, il faudra s’assurer de lever toute équivoque. Souvenons-nous qu’il y a des années de cela, les contraceptifs avaient mauvaise presse. Pour de nombreuses personnes à l’époque, ces produits n’avaient d’autre vocation que celle d’encourager la population à verser dans la luxure et la débauche.
C’est sûrement fort de cette expérience que l’OMS, dans une note d’orientation publiée en 2016, déclare ceci : « l’autotest VIH) ne renforce pas les comportements à risque. » Il serait de bon ton ici d’insister sur la nécessité de contrôler la maladie : un diagnostic rapide même fait à la maison, permet une prise en charge rapide. Plus nombreux serons-nous à s’y mettre, plus nous aurons les chances de conjurer la pandémie. C’est donc un enjeu de santé publique et non de mœurs.
“Un principe cardinal voudrait que le plus important en communication ne soit ni le message, ni le canal, ni l’émetteur, mais le destinataire. Quel que soit le soin que vous aurez mis dans votre message, si le destinataire n’est pas réceptif, ce sera peine perdue”
Armelle Nyobe
Comme vous le constatez, rien n’est simple! La difficulté réside dans la maîtrise du destinataire. Un principe cardinal voudrait que le plus important en communication ne soit ni le message, ni le canal, ni l’émetteur, mais le destinataire. Quel que soit le soin que vous aurez mis dans votre message, si le destinataire n’est pas réceptif, ce sera peine perdue.
Il faut donc beaucoup de pédagogie et d’accompagnement dans une démarche de transformation. Gardons également à l’esprit que l’environnement sociétal pèse lourdement dans les processus. S’il est vrai que les grandes transformations sociétales procèdent très souvent de révolutions, il n’en demeure pas moins que celles-ci prennent du temps à émerger: soit elles sont le fait de rupture, soit elles sont le fruit d’une révision des lois quand bien même la mise en œuvre ne coule pas toujours de source.
Bref, j’insiste pour le dire : il faut du temps! C’est là l’un des défis majeurs dans le changement de comportement et la communication qui l’accompagne : les effets durables et à large échelle ne se dévoilent qu’avec du temps. Un temps relativement long.
Le cas de l’autotest n’est pas anodin. L’innovation en général est un processus qui demande un aspect accompagnement du changement dans lequel la communication est une clé majeure.
Armelle Nyobe est spécialiste en communication et répond à l’adresse [email protected]otmail.fr