L’hôpital Foch est depuis longtemps engagé en faveur de l’innovation, et plus particulièrement de l’innovation en santé. Pourriez-vous nous en parler ?
Philippe Boulogne : C’est effectivement une volonté forte de notre Directeur Général, Jacques Léglise, mais aussi une réelle attente de la part de notre communauté médicale et soignante, elle-même très demandeuse d’innovations. C’est pourquoi nous avons, il y a déjà plusieurs années, constitué un Comité de Pilotage Innovation, plus récemment complété d’un Comité de Pilotage e-santé adossé à un Living Lab, qui ont permis de lancer plusieurs expérimentations afin de construire un réel Parcours Numérique de Santé. Nous avons ici retenu une approche inspirée des États-Unis : nous accueillons régulièrement des start-ups qui viennent nous présenter leurs solutions. Si celles-ci nous semblent répondre à des besoins exprimés par les professionnels de santé ou recueillis auprès des usagers par la Direction de la Communication et de l’Expérience Patient, nous mettons en place un POC, ou Proof of Concept, qui peut le cas échéant mener à une mise en production systématiquement assortie d’un recueil des indicateurs d’usage.
Ce Parcours Numérique de l’Usager a récemment été primé dans le cadre des Talents de la e-santé 2021.
Nous avons en effet souhaité prendre part à ce concours, en choisissant une approche originale : plutôt que le dossier ne soit déposé par une start-up adossée à un établissement de santé, comme cela se fait habituellement, nous avons souhaité porter notre candidature nous-mêmes, en lien avec une douzaine de partenaires. L’obtention de ce prix vient aujourd’hui conforter une stratégie parfaitement alignée avec celle de la Délégation du Numérique en Santé, notamment en ce qui concerne l’alimentation du Dossier Médical Partagé (DMP), la dématérialisation des comptes-rendus de consultation et d’hospitalisation, les échanges interprofessionnels via la Messagerie Sécurisée de Santé, ou encore l’accès à distance aux résultats de biologie et d’imagerie médicales. Ce sont autant de services qui permettent de préparer la mise en place de l’Espace Numérique de Santé, avec tout un panel d’outils complémentaires pour les professionnels de santé et les patients de l’hôpital Foch. Dominique Pon l’a d’ailleurs lui-même souligné lors de la cérémonie de remise des prix.
En quoi consiste plus concrètement ce Parcours Numérique de l’Usager ?
Pour schématiser, il permet d’offrir aux usagers tout un ensemble d’outils visant à faciliter leur accès aux soins, mais aussi à améliorer leur confort et la qualité de leur prise en charge en mettant rapidement à disposition leurs informations de santé. Le Parcours Numérique de l’Usager s’appuie notamment sur l’application « FOCH Patients », publiée dès 2016 et justement pensée pour développer l’interactivité avec les patients. Celle-ci connaît un réel succès, puisqu’elle est actuellement téléchargée par 500 personnes en moyenne tous les mois. Au-delà de ses services socles, comme la prise de rendez-vous et la préadmission en ligne – avec reconnaissance automatique des pièces administratives grâce aux technologies d’intelligence artificielle –, la commande des repas et la gestion des services hôteliers, l’accompagnement du retour à domicile, mais aussi l’affichage de l’attente aux urgences en quasi-temps réel sur la base d’une analyse statistique rétrospective, ou encore la visualisation du plan de l’hôpital ou de la localisation des parkings, « FOCH Patients » fédère aujourd’hui tout un ensemble des composantes numériques adaptées à chaque parcours de soins. Elle offre également des services tiers, comme un guidage assisté capable de transformer le smartphone en boussole intelligente pour accéder plus facilement au lieu de rendez-vous, ou encore la téléconsultation, actuellement proposée par plus de 150 praticiens de Foch, pour plus de 16 000 rendez-vous médicaux déjà réalisés à distance.
Pourriez-vous nous détailler quelques-unes des solutions numériques dédiées aux différents parcours de soins ?
Celles-ci ont été co-développées avec des start-ups, en lien étroit avec les équipes médicales et soignantes concernées. Certaines sont à visée généraliste, d’autres sont plus spécifiques. Pour les premières, j’évoquerai notamment les solutions destinées au parcours chirurgical, comme le questionnaire intelligent d’anesthésie qui permet d’identifier rapidement les patients les plus à risques de complications, ou encore un outil de suivi du patient en lui délivrant toutes les informations nécessaires avant son opération ainsi que son questionnaire post-opératoire. En ce qui concerne les secondes, elles peuvent par exemple concerner un épisode particulier comme la grossesse avec l’application « BabyFOCH », qui permet aux futurs parents de préparer et d’organiser leurs rendez-vous médicaux, de rester en contact avec les équipes ou encore de bénéficier de conseils utiles. C’est également le cas de la procréation médicalement assistée (PMA), dont le parcours est souvent long et fastidieux. Les patients peuvent ici suivre leurs résultats d’analyse, accéder à des tutoriaux ou des articles pédagogiques et poser des questions via un tchat bot, tandis que les médecins peuvent notamment adapter à distance les dosages des traitements. D’autres outils sont plus particulièrement dédiés aux patients souffrant d’une pathologie chronique, qui impose un suivi au long cours.
Par exemple ?
Les patients aux stades 4 et 5 d’une maladie rénale chronique et qui ont reçu une greffe rénale disposent d’un outil de télésurveillance qui permet d’avertir l’équipe médicale en cas de problème éventuel, comme un dosage de créatinine qui s’envole, d’adapter les traitements, mais aussi de prédire certains risques – ré-hospitalisation, survie du greffon, etc. Les patients suivis en oncologie ont eux aussi leur propre solution de télésurveillance pour, par exemple, visualiser les symptômes et les conduites à tenir, déclencher une alerte, solliciter des soins de support et, plus largement, fluidifier les échanges multidisciplinaires entre la ville et l’hôpital, de manière tracée et sécurisée. J’évoquerai également la plateforme de suivi et de télémédecine spécialisée dans la prise en charge du diabète qui permet, une fois de plus, de relier les patients à leur équipe soignante habituelle. La communauté médicale n’est pas en reste. Ainsi le staff greffe de l’hôpital a lui-même co-développé une application autour du parcours Greffe du poumon, pour organiser en temps réel et optimiser la coordination des équipes de prélèvement et de greffe autour du patient.
Quelles seront les prochaines étapes ?
Nous avons encore de nombreux autres projets, et travaillons par exemple aujourd’hui à l’implémentation de l’Identité Nationale de Santé (INS) dans nos flux afin de mieux faire le lien avec Mon Espace Santé, notamment pour les comptes-rendus d’hospitalisation et les ordonnances dématérialisées. Dans cette même optique, nous revoyons également les formats des comptes-rendus d’imagerie médicale et de biologie. Les partenaires avec lesquels nous avons co-construit le Parcours Numérique de l’Usager ont pour leur part engagé les travaux nécessaires à la mise en conformité de leurs outils avec les prérequis du Ségur Numérique, pour une meilleure cohérence d’ensemble. Sur un autre registre, nous participons actuellement à un projet permettant de mieux détecter, par l’intelligence artificielle, les éventuelles interactions médicamenteuses, pour mieux cibler les prescriptions nécessitant une intervention pharmaceutique.
Évoquons pour finir vos travaux autour des entrepôts de données, qui se nourrissent notamment de cette stratégie numérique.
Nous avons en effet mis en place un premier entrepôt de données dès 2019, qui a bien entendu été soumis à autorisation auprès de la CNIL. Plus de 20 années de comptes-rendus y ont été injectées, soit quelque 13 millions de documents, ce qui a représenté un immense travail de qualification des données. L’entrepôt est actuellement alimenté en permanence par 36 sources de données et permet d’effectuer des recherches ciblées pour, par exemple, créer des cohortes à des fins de recherche. Pas moins de 110 médecins l’utilisent aujourd’hui, pour 176 cohortes créées et 3700 requêtes réalisées en un an seulement. Nous avons, depuis peu, lancé un POC pour un second entrepôt de données, cette fois-ci aligné sur le format FHIR pour transformer des données non structurées en données structurées plus facilement exploitables pour la recherche. C’est en effet un standard qu’il nous semble important d’implémenter pour pouvoir, à terme, mener des travaux communs dans le cadre du RESPIC, le réseau qui concrétise la collaboration de 11 ESPIC en matière de recherche clinique.
Le mot de la fin ?
Je l’ai déjà dit mais j’insiste : tous les outils que nous venons d’évoquer et, plus globalement, la stratégie dans laquelle ils s’inscrivent, n’auraient pu être mis en place sans le soutien franc de notre Directeur Général et sans l’implication de nos médecins et soignants. Il faut également souligner l’implication forte de l’équipe la Direction des Systèmes d’Information, qui a fait preuve d’une grande réactivité pour ces projets qui nécessitent une grande agilité. Il ne faut toutefois pas oublier les patients. La Direction de la Communication et de l’Expérience Patient a fait ici un travail formidable, en recueillant leurs demandes et en communiquant régulièrement auprès des usagers et de leurs représentants. L’organisation des parcours de soins ne peut plus faire l’impasse sur les apports du numérique en santé, mais ces technologies sont encore relativement récentes et imposent une certaine évangélisation. La crise sanitaire a ici eu un impact positif, dans le sens où elle a fait office d’accélérateur, mais il faut que cette dynamique soit pérenne pour que tous puissent bénéficier de cet écosystème numérique.
Article publié dans l’édition de février 2022 d’Hospitalia à lire ici.