“Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera.” Comment concilier le serment d’Hippocrate que prononce chaque médecin avant d’exercer, avec la volonté de la candidate du Rassemblement national de réduire drastiquement aux soins aux étrangers? Après des sportifs, des artistes, des acteurs de la culture, de la recherche et de l’enseignement supérieur, des syndicats (CFDT et CGT), ce sont désormais des soignants et des acteurs de la santé qui appellent à faire barrage à l’accession au pouvoir de Marine Le Pen.
“Non au projet démagogique de Marine Le Pen” tranchait le 15 avril dans l’Express un texte signé par un collectif de professionnels de santé. “Les valeurs de notre système de notre système de santé ne sont pas celles de l’extrême droite”, estiment les 1 000 médecins, infirmiers, directeurs d’hôpitaux signataires d’une autre tribune parue dimanche dans le JDD. “L’hôpital public est incompatible avec les valeurs d’extrême droite”, alerte encore aujourd’hui ce texte diffusé à l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille, qui a déjà recueilli près de 300 signatures de médecins (lire ci-dessous).
En 2020, 383 000 étrangers ont pu être soignés en France
Au-delà même de telle ou telle mesure, c’est toute la philosophie d’un programme santé fondé sur la “priorité nationale”, que visent ces prises ces positions du monde médical, par ailleurs souvent très critique envers le bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron. Marine Le Pen a ainsi annoncé vouloir supprimer l’aide médicale (AME), dispositif créé en 2000 qui permet, sous conditions de ressources, aux personnes en situation irrégulière depuis plus de trois mois sur le territoire, de bénéficier de la prise en charge de leurs soins médicaux. En 2020, 383 000 étrangers ont ainsi pu être soignés en France. Le coût de ces prises en charge (1 milliard d’euros en 2022) ayant doublé depuis 2015, Marine Le Pen y voit un “appel d’air” pour les candidats à l’immigration, et veut limiter la prise en charge aux seules urgences vitales. L’AME est en effet le dispositif le plus généreux en Europe, mais seulement 10% des étrangers évoquent la santé parmi les motifs de migration. Et seules 51 % des personnes qui y sont éligibles en bénéficient a observé en 2019 une étude de l’IRDES.
Au-delà de l’aspect éthique, l’AME comporte un fort enjeu de santé publique, permettant de contrôler la prolifération de certaines maladies en France. Si ce dispositif venait à être supprimé “l’absence d’accès aux soins primaires pour ces populations freinera le dépistage des maladies transmissibles (hépatite B, VIH, tuberculose, rougeole…) dont le diagnostic tardif est un risque sanitaire pour les personnes et pour la population”, soulignait en 2017 Médecins du monde. À noter enfin que le coût de l’AME, souvent fantasmé, équivaut à 0,4% des dépenses de l’assurance-maladie.
Priorité nationale : un principe que Marine Le Pen veut également appliquer aux médecins. La candidate entend “réduire drastiquement le recours aux médecins ayant obtenu leur diplôme hors de l’Union européenne”, en “s’assurant qu’il n’y a pas de médecins français pour le poste”. Or, il n’y a pas de concurrence aujourd’hui entre des médecins français et des praticiens étrangers. Le système de soins, et notamment les hôpitaux publics, a besoin des praticiens étrangers pour fonctionner, une tendance générale dans les pays de l’OCDE. En 2020, environ 30 000 étaient inscrits au conseil de l’Ordre des médecins, soit plus de 12% des praticiens en activité régulière.
La thématique de la santé et les forts enjeux de société qu’elle comporte ont largement été oubliés jusqu’à présent des débats de la présidentielle. D’après plusieurs enquêtes d’opinion, elle figure parmi les principales préoccupations des Français à la veille du 2e tour.
“L’Hôpital public est incompatible avec les valeurs véhiculées par l’extrême droite”
“Nous, médecins de l’Assistance Publique Hôpitaux de Marseille, signons cette tribune afin d’appeler à faire barrage à l’extrême droite lors du deuxième tour de l’élection présidentielle. Nous soignons avec respect et sans discrimination l’ensemble de la population, indépendamment des différences d’état civil, de situation socioprofessionnelle, d’âge, et des convictions politiques ou religieuses. Nous soignons l’ensemble de la population en apportant la plus grande attention aux plus fragiles et à ceux en situation de détresse. Ce principe d’égalité dans le soin est et restera inaliénable. Il est l’élément fondateur de l’Hôpital de la République. L’extrême droite a le projet de supprimer l’aide médicale d’État et mettre en place un dispositif minimum. La suppression de l’aide médicale d’État est une mise en danger des populations fragiles dont les conséquences retentiront sur tous. Une population qui n’a pas un accès facile et direct aux soins est à risque de développer des complications qui entraîneront une détérioration de son état de santé, et engendreront au final des soins lourds et coûteux. Ceci n’est pas digne d’un grand pays comme la France. La pandémie que nous venons de traverser a montré à quel point la santé est un bien collectif et précieux ; le Covid n’a épargné aucune population, et la prise en charge de tous, sans discrimination, a été nécessaire.
L’Hôpital public, bien que mis à mal, avec l’aide de ses partenaires du système de santé, a permis à l’ensemble de la société de traverser ces moments difficiles. Faisant suite aux erreurs historiques des gouvernements successifs lors des trente dernières années, le nombre de médecins et de soignants s’avère notablement insuffisant. Il y a aujourd’hui 30% de postes médicaux vacants dans les hôpitaux. Nos collègues diplômés à l’étranger représentent 10% des médecins qui vous soignent, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sur l’ensemble du territoire. Ils font partie de la richesse de notre modèle médical ; nombre d’entre eux deviennent des sommités reconnues bien au-delà de nos frontières. Il est inacceptable de cautionner l’extrême droite qui stigmatise ces professionnels méritants. La médecine n’a pas de limites ethniques, géographiques, ou idéologiques. Crise de sens Nous attendons, nous espérons, nous avons un besoin imminent d’une refonte en profondeur du système hospitalo-universitaire. Nous attendons des règles de financement réalistes prenant en compte les fonctions essentielles de soin, d’enseignement et de recherche.
Nous attendons le rétablissement de nos capacités d’innovation, gage d’attractivité et de compétitivité de la France sur la scène internationale. Sans naïveté, en cette fin de quinquennat, nous ne sommes pas sans constater les difficultés traversées par l’Hôpital, sa pénurie chronique de personnel, les contraintes multiples pesant sur son fonctionnement et sa vétusté immobilière. La crise de sens pour l’ensemble des professionnels de santé est malheureusement devenue la règle et non plus l’exception. Notre rejet de l’extrême droite n’est pas la reconnaissance de la politique de santé actuelle. La gravité de la situation et le danger qui planent sur l’Hôpital public nous conduisent à aller au-delà de nos différences d’opinions politiques. Aujourd’hui il nous faut préserver l’essentiel. Nous alertons sur le fait que le programme de santé de l’extrême droite est le signe d’une démocratie en danger et nous appelons à le refuser.”
Les premiers signataires, suivis par 275 médecins de l’Assistance Publique Hôpitaux de Marseille :
Pr Jean-Luc Jouve chirurgien pédiatre ; Pr Emmanuelle Sarlon médecin vasculaire ; Dr Jean- Marc Chabannes médecin psychiatre ; Dr Véronique Veit médecin interniste ; Pr Marc Leone anesthésiste réanimateur ; Pr Olivier Blin médecin de santé publique ; Pr Caroline Ovaert cardiologue ; Pr Florence Bretellle gynécologue ; Pr Brigitte Chabrol pédiatre ; Dr Catherine Paulet médecin psychiatre ; Pr Fréderic Collart chirurgien cardiaque ; Pr Fabrice Michel anesthésiste réanimateur ; Dr Diane Mege chirurgien digestif ; Dr Solène Prost chirurgien orthopédiste ; Pr Katia Chaumoitre médecin imageur