Santé et biotechs : « Il n’y a pas que l’innovation thérapeutique » (David Lepoittevin, Pfizer Innovation France) Leave a comment

LA TRIBUNE – Pfizer Innovation France participe depuis 2019 à Prevent2Care Lab, le premier incubateur axé sur la prévention santé en France, fondé lui-même en 2018 par la Fondation Ramsay Santé et opéré par INCO Incubators. Pourquoi avez-vous embarqué sur une telle thématique, moins liée au cœur de l’innovation thérapeutique, mais plus aux enjeux de santé au long cours ? Il y a également matière à innover sur ces sujets ?

DAVID LEPOITTEVIN – Pfizer est un laboratoire dédié à l’innovation, et notamment à l’innovation thérapeutique, comme nous l’avons prouvé assez clairement aux yeux du monde à travers la crise que nous avons traversé. Et notre objectif reste d’améliorer la santé de tous. Cela touche également notre engagement sociétal, car nous nous sommes posés la question de savoir comment être encore plus engagés en abordant la santé d’un point de vue plus large.

Car il n’y a pas que l’innovation thérapeutique. Nous pensons notamment que la prévention est aussi un bon moyen d’améliorer la santé de tous. C’est ainsi que nous avons commencé à nous questionner sur les actions à mettre en place pour atteindre cet objectif, et à prendre connaissance du projet développé depuis 2008 par la Fondation Ramsès.

L’aspect prévention est devenu plus central comme vous l’évoquiez mais jusqu’ici, il était plutôt pris en main par le secteur médical, mais pas nécessairement par les industriels. Peut-il y avoir un modèle économique à défendre ?

C’est un axe sur lequel nous étions déjà très investis, mais de façon peut être un peu moins visible, à travers de multiples partenariats sur différentes aires thérapeutiques, que ce soit dans le domaine des vaccins, bien évidemment, mais aussi en oncologie, dans les maladies rares, etc. Mais il nous fallait surtout la structurer et la rendre visible.

Nous avons également mis sur pied d’autres initiatives, avec notre fonds de dotation qui est aussi dédié à supporter ce genre d’initiatives, Pfizer Innovation.

Nous voyons la prévention comme un axe complètement intégré à nos activités, parce que nous maîtrisons déjà l’innovation thérapeutique à travers des partenariats publics ou privés. Nous cherchons désormais à appliquer la même méthode dans le domaine de la prévention.

Nous sommes convaincus que pour avoir un monde en meilleure santé, il faut aussi pouvoir changer les comportements.

Cela prend à la fois du temps, mais aussi des expertises que nous n’avons pas forcément, et qui passent par des synergies à réaliser, notamment avec les startups que nous accompagnons, et qui ont un mode de fonctionnement différent du nôtre. Nous apprenons donc beaucoup aussi à leur contact.

Jusqu’ici, le sujet de la prévention ne disposait toutefois pas toujours d’un vrai modèle économique : ce n’est plus le cas aujourd’hui, lorsqu’on regarde les 23 startups de votre promotion 2022 ?

On fait le pari que, de toute façon, investir dans la prévention, en supporter le développement, c’est forcément quelque chose de bénéfique.

On ne peut pas imaginer que toute action, quelle qu’elle soit, n’ait pas un impact, ne serait-ce qu’à travers cette volonté de changer les comportements, sur le modèle économique de la santé en France.

On ne cherche pas forcément à démontrer que c’est quelque chose de rentable mais plutôt que c’est intéressant d’un point de vue de l’engagement, et qu’il existe encore beaucoup à faire en s’appuyant sur la capacité d’innovation des startups pour aller proposer des idées innovantes, que ce soit par l’utilisation de l’intelligence artificielle, l’intelligence, l’utilisation de données de santé, etc.

Sur les 23 startups lauréates à l’échelle nationale, il y avait 6 lyonnais. Avez-vous observé des tendances de fond ? Quelles sont les innovations qui vous ont particulièrement interpellées dans cette promotion ?

Il existe forcément des innovations et propositions qui nous interpellent plus que d’autres, que l’on va choisir d’incuber pendant neuf mois à l’issue de la sélection. On a l’exemple de l’application logicielle Matvisio, qui développe un algorithme qui va permettre à un collaborateur ou un salarié qui passe beaucoup de temps devant son écran de pouvoir bénéficier d’une analyse de sa posture, au fur et à mesure de la journée. Ce bilan proposera ensuite une analyse individualisée et des actions correctives à mener, en vue d’éviter les troubles musculo squelettiques.

Un autre exemple est ListenHer, une application qui va apporter des conseils psychologiques aux femmes ayant subi des violences, soit sexuelles, physiques ou psychologiques. Il s’agit d’un univers complètement différent, mais où l’on sait qu’il reste choses à faire. Ou encore d’un autre lyonnais Marti, qui développe une borne interactive mise à disposition des patients entrant dans des salles d’urgence et qui ne parlent pas ou mal le français, mais aussi les patients sourds, malentendants, etc. Lorsqu’on réfléchit à cet enjeu, on se rend compte qu’il s’agissait d’un enjeu jusqu’ici non couvert et les aider devient une chose évidente.

Comment allez-vous concrètement contribuer et accompagner une partie de cette promotion au sein du groupe : quelles ressources Pfizer mettra-t-il à leur disposition ?

Les dossiers sont encore en cours d’analyse, mais notre objectif est de pouvoir répondre au plus grand nombre, nous n’allons pas nous limiter. Nous allons notamment regarder quels sont les collaborateurs et départements de Pfizer sont plus à même de pouvoir répondre à leurs besoins.

En règle générale, les collaborateurs Pfizer sont notamment attendus sur les informations qu’ils peuvent apporter concernant l’accès aux marchés et quels peuvent être par exemple les chemins d’accès au remboursement, ou encore comment monter des essais cliniques afin d’aider ces startups à mieux structurer les études et à prouver que leur solution peut avoir un impact.

Des partenariats ou co-développements avec ces startups pourraient émerger en fonction des thématiques ?

Nous ne nous interdisons rien, parce que le modèle Pfizer est justement d’aller chercher des partenariats et de voir comment on peut aider des projets à éclore.

Nous disposons déjà de partenariats en recherche fondamentale où l’on est encore très loin de la solution finale, mais aussi de partenariats avec des sociétés ou laboratoires sur lesquels on partage des expertises.

C’était par exemple le cas avec le vaccin Covid, où nous avions déjà l’ambition de développer à la base un vaccin contre la grippe sur la base de la technologie de l’ARNm. On a très simplement essayé de l’appliquer à l’urgence de la situation et ça a fonctionné.

Qu’est-ce qu’est ce qui a justement composé la stratégie « gagnante » de Pfizer dans sa stratégie d’innovation ?

Nous avions déjà défini, au niveau du groupe, des axes thérapeutiques, que sont la médecine interne, l’inflammation et l’immunologie, les maladies rares, l’oncologie, etc. Et à l’intérieur de chacun de ces axes thérapeutiques, nous avions la volonté d’aller chercher à chaque fois de l’innovation.

Chaque collaborateur Pfizer est ainsi imprégné de cette culture car nous sommes persuadés que c’est là où l’on nous attend et où l’on peut apporter le plus de valeur à la société.

Ca se traduit aussi dans les chiffres, et notamment dans votre budget accordé à la R&D ?

Oui, c’est d’ailleurs un pourcentage qui évolue et grandit au fur et à mesure. Pour 2022, c’est entre 10,5 et 11,5 milliards de dollars qui pourraient être investis en R&D au niveau mondial par Pfizer.

La crise sanitaire a aussi pointé des enjeux d’information concernant l’utilisation du vaccin Covid : c’est un axe qui peut lui aussi faire le lien avec la thématique de la prévention ?

L’une des tendances de fond qui ressort, c’est aussi l’éducation car on ne peut pas changer les comportements de façon dogmatique et péremptoire. Pour pouvoir le faire durablement, il faut pouvoir éduquer, et en premier lieu informer et faire comprendre, et que les gens soient aussi critiques aussi par rapport à l’information qu’ils reçoivent.

Je pense que c’est vraiment un point commun à l’ensemble des projets, y compris celui de la vaccination, mais aussi concernant des axes plus alimentaires, environnementaux ou du point de vue de la posture physique…

Mais le point commun, c’est qu’il faut aussi que l’on s’y prenne tôt, car il est plus difficile de changer le comportement de quelqu’un de plus âgé, qui s’est construit sa propre expérience et ses convictions.

C’est notamment là où on s’aperçoit que le monde associatif est aussi très important, parce qu’il assure une certaine légitimité, de par sa proximité et sa compréhension, et fait aussi émerger des messages différents de ceux que l’on peut avoir en tête, et qui ont une valeur ajoutée primordiale.

En matière d’innovation, on a vu que la France n’avait pas toujours été “à la page”. On a beaucoup parlé de la recherche qui était de qualité, mais aussi du gap à relever en matière de financement notamment, voire d’une certaine prise de risques nécessaire. Quel regard portez-vous sur ce sujet ? Qu’est-ce qui pourrait être amélioré encore aujourd’hui, de votre expérience ?

Je crois que l’on peut toujours être critique, mais il faut tout de même reconnaître que l’environnement français de la santé, et notamment sa recherche, est extrêmement performant et dispose d’équipes de qualité.

A certains moments, on a pu penser que c’était peut-être un peu plus compliqué en France, que dans d’autres pays, d’accéder à l’innovation et de la développer, mais tout cela est en train de changer.

Nous avons vu des projets émerger, ainsi qu’une volonté émanant des autorités de vouloir vraiment faire bouger les choses et de rendre le pays beaucoup plus attractif, notamment en termes d’innovation en santé, et cela commence à se voir et pourrait encore s’accélérer à court terme.

Marie Lyan

13 Avr 2022, 11:30

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