Le coût de la vie et le pouvoir d’achat est une des préoccupations actuelles des Français. Ce sera un thème majeur de l’élection présidentielle, pour 90 % des Français selon un sondage Odoxa pour Europe 1, loin devant l’immigration ou même l’écologie. Cela se traduit dans les comportements d’achat. Le prix est le critère le plus déterminant en matière de biens de consommation, selon un sondage du magazine LSA.
Les consommateurs français ne sont pas seulement attachés à « la » valeur du bien, ils sont également guidés par « des » valeurs. 93 % des Français veulent revoir notre modèle économique fondé sur le mythe de la croissance infinie, selon le baromètre 2021 de la consommation responsable Greenflex / Ademe. Face à nombre de problèmes sociaux et écologiques, 72 % agissent déjà comme des « consommateurs responsables ». Ils plébiscitent des marques qui correspondent à leurs valeurs personnelles.
Si les entreprises veulent vendre leurs produits et services avec succès, il va leur falloir tenir compte de sept attributs, de plus en plus appréciés par les consommateurs mais apparemment contradictoires et inconciliables : le caractère abordable des produits et services, la santé-sécurité, la simplicité, la sociabilité, la durabilité, la désirabilité et le sens.
Besoins essentiels et aspirationnels
Au premier niveau, trois attributs correspondent aux besoins essentiels des consommateurs : le caractère abordable des produits et services, la santé/sécurité, et la simplicité. En raison de la crise sanitaire et économique, les consommateurs français recherchent des produits sains et sûrs qui, tout à la fois, préservent leur santé, leur procurent un sentiment de sécurité et leur simplifient la vie. Ils sont aussi pratiques à acheter et à utiliser, ainsi qu’adaptés à leur budget limité. Les clients se montrent inflexibles sur ces trois attributs fondamentaux.
Trois autres attributs satisfont des besoins aspirationnels : la sociabilité, la durabilité, et la désirabilité.
La sociabilité d’un produit ou d’une marque, c’est sa capacité à engager une conversation authentique et personnalisée avec les clients, mais aussi à tisser des liens sociaux profonds entre divers consommateurs (via, par exemple, l’autopartage ou les circuits courts qui enrichissent la vie sociale des clients et promeuvent la solidarité). Les clients, charmés par des produits esthétiquement plaisants – fabriqués d’une manière éthique et durable et générant une empreinte carbone réduite -, ne dépenseront toutefois pas forcément plus pour ces caractéristiques aspirationnelles. Ils sont même prêts à ignorer ces attributs non essentiels au moment de l’achat.
Sens, raison d’être, mission
Enfin, au niveau le plus élevé ou le plus profond, se trouve le 7e attribut : le sens (purpose, en anglais) qui comble notre besoin spirituel de transcendance. Bien qu’intangible, le sens relie un produit au cœur et à l’âme des consommateurs modernes, qui soutiennent des marques « engagées », porteuses de sens et alignées avec leurs valeurs.
L’heureuse nouvelle est que 83 % des Français ont une bonne image des entreprises et que 88 % d’entre eux croient qu’elles peuvent réaliser du profit tout en servant l’intérêt général. Et presque 80 % des Français sont prêts à abandonner des marques qui ne sont pas engagées sur le plan éthique et moral.
Résultat : en 2022, se doter d’une « raison d’être » ou d’ une « mission » ne suffira plus. Même les entreprises les plus « engagées » vont devoir apprendre à concevoir, fabriquer et vendre de nouveaux produits et services tout à la fois abordables, simples, fiables, durables, sociables, désirables et portés par une cause noble. Ce n’est pas une mince affaire, car ces sept attributs sont intrinsèquement en conflit les uns avec les autres et très difficiles à concilier.
Apprendre à simplifier
La simplicité n’est pas le fort de la France, grand pays d’ingénieurs, qui ont tendance à associer complexité et innovation. Or les entreprises vont devoir apprendre à éliminer des fonctionnalités – au lieu d’en ajouter – et à rendre leurs solutions faciles à utiliser et à entretenir par les consommateurs.
Les clients exigent des produits « verts » et éthiques, qui proviennent de sources durables et soient facilement recyclables. Mais, en l’espèce, ils ne sont pas davantage disposés à payer plus pour ces produits respectueux de l’environnement. Un sondage YouGov pointe que même si 70 % des Français se jugent écoresponsables, dès lors qu’il s’agit de choisir une marque, ils favorisent avant tout le prix (29 %) et la qualité (29 %), bien plus que l’engagement responsable et écologique (8 %). En d’autres termes, les consommateurs français veulent tous sauver la planète… mais à peu de frais !
De même, 60 % d’entre eux ne sont pas disposés à payer plus cher pour un article de mode éthique ou responsable. Comment alors les marques peuvent-elles répondre aux besoins et aux valeurs de ces consommateurs désireux de concilier « fin du mois » et du « fin du monde » ?
Cruciale, la phase de conception
Plutôt que de viser un compromis ou de considérer chacun des sept attributs séparément, les entreprises françaises doivent chercher à les intégrer de manière holistique via l’innovation frugale .
Cette stratégie de rupture leur permet de développer des produits et services de bonne qualité, qui sont fabriqués de manière économe et éthique et vendus à un prix abordable pour offrir la meilleure valeur possible aux clients.
Or plus de 70 % des coûts d’un cycle de vie et de l’empreinte environnementale d’un produit sont déterminés au cours de sa phase de conception. Plutôt que de s’attaquer à la simplicité ou la durabilité dans une phase tardive du processus de fabrication ou de distribution – lorsque cela devient plus coûteux -, il est préférable d’intégrer ces aspects plus tôt dans la phase de recherche et développement (R&D), selon les principes mêmes de l’innovation frugale.
L’AUTEUR
Navi Radjou est conseiller en innovation et en leadership. Coauteur du « Le Guide de l’Innovation frugale », publié chez Diateino (2019), il figure au nombre des 50 meilleurs penseurs au monde classé par Thinkers50.
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