Jean-Charles Samuelian-Werve: «Le système de santé doit devenir citoyen-centré grâce à la technologie» Leave a comment

Jean-Charles Samuelian-Werve est le cofondateur et le PDG de la complémentaire santé Alan, valorisée 1,4 milliard d’euros. Il est l’auteur du livre De l’assurance-maladie au partenaire bien-être, qui donne des pistes pour repenser le système sanitaire à l’aune de la prévention et de la libération des données de santé.

Face aux défis que rencontre le système de santé, vous proposez de transformer l’assurance-maladie en « partenaire bien-être ». Etes-vous favorable à un big bang de la santé ou conservez-vous quelques bases de l’existant ?

Je milite pour une refonte du système de santé mais sans jeter aux orties les fondations de la Sécurité sociale : le principe de solidarité doit à tout prix subsister. D’autres règles du système sont saines. Dans ma vision de la santé du futur, je maintiens la loi Evin de 1989, qui interdit aux organismes assureurs d’augmenter leurs tarifs en se fondant sur les données médicales (et l’évolution de l’état de santé des assurés, NDLR). Revenir sur ce principe entraînerait des inégalités insupportables dans notre pays. J’interdis également la sélection médicale (applicable dans la création d’un contrat d’assurance, NDLR). Je m’appuie toujours sur la qualité de formation et d’expertise extraordinaires de nos équipes médicales pour tirer le système vers le haut.

En somme, je sanctuarise les idéaux humanistes généreux et protecteurs du système de santé existant que j’associe au principe d’équité, d’universalité et de progressivité des contributions qui viennent avec la solidarité. Mais le seul moyen de converser toutes ces bonnes idées, c’est d’innover.

On commence par quoi ? Quelle est la réforme prioritaire à mener pour moderniser notre système de santé ?

En santé, il n’y a pas de solution miracle. Le changement va provenir de l’articulation d’une multitude d’initiatives locales ou nationales, portées par les citoyens, les soignants, l’Etat, les entreprises. La bataille sera remportée si tous travaillent ensemble et dans le même sens. Pas en opposition.

Mon idée d’un système rénové est fondée sur deux grands piliers. Réfléchissons à comment passer progressivement d’un modèle curatif à un modèle de financement de la bonne santé. Tant pis si cela prend des années : il faut y aller.

Ensuite, pensons les conditions pour créer un terreau fertile à l’innovation ouverte et interopérable, où la donnée est accessible mais son contrôle est à la main des citoyens, qui sont, enfin, au cœur du système. Rien ne sera possible si l’Etat ne continue pas son travail d’Etat-plateforme. Son rôle, primordial, est de définir les conditions et les règles du jeu de la santé.

Le système de santé est très hospitalo-centré : c’était tout à fait pertinent au moment des « Trente Glorieuses », ça l’est moins aujourd’hui. Pour moi, le système de santé doit devenir citoyen-centré grâce à la technologie.

«Le système de santé est très hospitalo-centré : c’était tout à fait pertinent au moment des “Trente Glorieuses”, ça l’est moins aujourd’hui»

Vous n’aimez pas le mot patient auquel vous préférez celui de citoyen, à qui vous voulez laisser le choix de gérer sa santé comme bon lui semble. Que deviennent, dans cette vision, l’Assurance-maladie et les complémentaires santé ? Qui fait quoi ?

L’Assurance-maladie doit concentrer son travail sur le remboursement des soins liés à des pathologies graves et chroniques. Elle a été conçue pour cela. Je ne suis pas du tout pour sa suppression mais elle doit se moderniser pour perdurer.

Il ne faut pas s’interdire d’aller vers des modèles de santé hybrides comme on en voit au Pays-Bas, en Belgique ou vers des schémas dans lesquels des acteurs semi-privés with non profit (privés à but non lucratif, NDLR)gèrent la totalité du risque avec effet de redistribution. Ça existe aux Etats-Unis et ça marche très bien. Je ne dis pas qu’il faut tout copier sans réfléchir mais on a toujours à apprendre des autres.

Comment passe-t-on du remboursement de l’acte de soins à un remboursement fondé sur la bonne santé des populations, la qualité du soin et la prévention ? Dans ce changement progressif de notre modèle de remboursement de la santé, l’assurance-maladie sera sans conteste le leader de la discussion.

La combinaison d’une puissance publique solide et universelle qui travaille main dans la main avec des acteurs privés moteurs de l’innovation créera le modèle hybride très compétitif que j’appelle de mes vœux.

«Le médecin traitant doit se transformer en équipe médicale traitante, à laquelle les patients font appel selon leurs besoins à chaque moment de leur vie»

Le médecin traitant est la porte d’entrée du système de santé français. En donnant davantage de liberté de choix aux citoyens, cette mécanique deviendra-t-elle obsolète ?

Pas du tout. Les médecins doivent rester au cœur du système de santé, il faut simplement les aider davantage à faire leur métier, et même leur donner davantage de pouvoir grâce au numérique. Comment ? En faisant tomber les barrières géographiques et en permettant à certaines spécialités d’être accessibles partout en France (grâce à la téléconsultation et la télésurveillance, NDLR) ; en aidant à automatiser les tâches administratives, redondantes et sans valeur ajoutée qui les rebutent et leur font perdre un précieux temps ; en les faisant monter en compétence par des programmes automatisés.

Quand on sait qu’un médecin libéral passe 20% de son temps à faire autre chose que de la médecine, les opportunités de l’aider à se concentrer sur ce qu’il aime faire sont nombreuses.

Mais force est de constater que le parcours de soins tel qu’il a été pensé est aujourd’hui insuffisant pour garantir à tous les citoyens un égal accès aux soins. C’est d’autant plus vrai quand on voit les difficultés des Français à trouver un généraliste susceptible de les soigner toute leur vie.

Je crois donc que le médecin traitant traditionnel doit se transformer en équipe médicale traitante, à laquelle les patients font appel selon leurs besoins à chaque moment de leur vie : le médecin généraliste à 20 ans, l’infirmière spécialisée en gynécologie à 30 ans pour une femme, le spécialiste cardiaque à 60 ans, etc.

Vous proposez de faire des médecins des coachs de vie. Vous en avez discuté avec eux ? Pas sûr qu’ils soient d’accord…

En réalité, j’aime bien la vision du médecin de campagne un peu à l’ancienne, qui écoute son patient, qui est dans l’empathie, qui privilégie l’humain et connaît toute la famille. Les médecins d’aujourd’hui n’ont plus le temps pour cela. Le numérique peut leur redonner. Il peut leur permettre de se concentrer sur le diagnostic et de l’améliorer en ayant entre leurs mains des données de santé plus précises car récoltées en continu par leurs patients.

L’absentéisme coûte 100 milliards d’euros par an aux entreprises. Faut-il inciter davantage les employeurs à une politique de prévention ? Remplacer la médecine du travail, non pertinente car obsolète, par l’intelligence artificielle ?

Pas du tout ! Il faut apporter les nouvelles technologies auxmédecins du travail. Alan travaille avec 14 000 entreprises, qui sont très demandeuses d’un partenaire bien-être et santé pour leurs salariés, encore plus après deux ans de pandémie. Nous accompagnons par exemple les salariés dans leur gestion du stress avec des programmes dédiés et des visios avec les thérapeutes, dans la santé mentale et dans la réduction de l’absentéisme en faisant en prévention le bon check-up au bon moment. Nous leur proposons un tchat avec une équipe médicale qui permet une fois sur deux de résoudre le problème et d’éviter la prise de rendez-vous médical. Ils peuvent aussi tester des lunettes en réalité augmentée dans leur appli, les commander en ligne et se faire livrer à vitesse grand V, ce qui permet de réduire le coût des produits tout en augmentant la qualité de service.

Il a fallu vingt ans à l’Etat pour enterrer le dossier médical patient (DMP), qui n’a jamais réussi à décoller, et le remplacer par l’espace numérique en santé (ENS), lancé en début d’année. Vous y croyez ?

Oui, car l’ENS est le fruit d’un travail exceptionnel et d’un changement radical de vision de la santé. Les concepteurs de l’ENS ont mis en application le principe d’Etat-plateforme comme le garant des communs numériques sur lequel peut se greffer facilement un écosystème innovant. Ils y ont associé les citoyens via des comités dans toute la France. C’est vraiment une approche intéressante ou le partenariat public/privé est, enfin, assumé.

Entrepreneur iconoclaste

Le fondateur de la nouvelle licorne française, créée en 2016, est diplômé de l’Ecole des Ponts ParisTech. Il rêve depuis son adolescence de révolutionner la santé.

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