La santé post-covid, entre prévention et paradoxes Leave a comment

La médecine se projette dans la durée, pense les conséquences à moyen et long terme de telle ou telle information (le patient fume, ne fait pas de sport, est en surpoids, vit des situations de stress particulières…) dans une logique de prévention et d’anticipation : c’est pour ces raisons que sont préconisés des examens réguliers chez le dentiste, une prise de sang tous les deux ans, des contrôles de la vue et de l’audition, une radio des poumons dans certains cas. Ces protocoles vont permettre de faire le point maintenant pour agir et préparer demain, pour augmenter les chances de combattre la maladie si elle se présente, avant des formes graves.

Nous avons tous entendu parler de la médecine traditionnelle chinoise citée en exemple et instituant un paiement du médecin à la condition de rester en bonne santé. Dès l’apparition des premiers soucis de santé, on cesse de rémunérer son médecin tant qu’il n’a pas résolu le problème. Ce que l’on dit moins souvent, c’est que le patient a l’obligation de se rendre en consultation chez son médecin tous les 3 mois pour que ce dernier ait effectivement les moyens d’identifier tout dérèglement médical avant que la maladie ne se développe. Le médecin ayant alors pour rôle de prodiguer ses conseils pour maintenir l’individu en bonne santé. Nous sommes ici dans une démarche préventive complète et on peut dire que les examens, les rendez-vous et les contrôles remboursés par l’Assurance Maladie n’en sont pas si éloignés.

Parce que la médecine est un investissement dans le temps, il faut penser très tôt aux effets des modes de vie et des comportements personnels, dans un contexte où les jeunes générations font peu de sport, mangent peu équilibré, et surtout vont très peu chez le médecin, notamment les catégories populaires. Rien n’est plus encourageant pour les kinésithérapeutes, les opticiens et les audioprothésistes, que de voir des jeunes affalés dans le métro, voûtés sur leur écran ou au plus près de leurs yeux, écoutant à fond des musiques aux percussions rageuses !

L’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique et l’Union nationale des associations familiales (Unaf) ont demandé à Ipsos de réaliser une étude pour mettre en lumière l’évolution de la consommation d’écrans chez les enfants. Le moins que l’on puisse dire c’est que le phénomène s’est amplifié avec crise du Covid. Les enfants, selon cette étude, ont augmenté leur utilisation de la quasi-totalité des écrans. Leur consommation d’ordinateur a augmenté de 6% depuis 2019, celle de la télévision de 8%, celle du smartphone de 11% depuis 2019 et celle de la tablette numérique de 23%. L’étude pointe également une diminution de l’âge moyen des enfants lorsqu’ils reçoivent leur premier appareil numérique. Ils ont désormais environ 10 ans et demi.

Entre hédonisme et responsabilisation, le grand écart

Deux choses n’encouragent pas la prévention. La première, les évolutions du regard social sur le corps. Jusqu’à récemment, l’idéal de beauté était un corps mince, musclé, bronzé et ce diktat social a marqué des générations, influencées par telle ou telle série américaine, campagne publicitaire avec des Top-Modèles et autres stéréotypes esthétiques des années 50 aux années 2000. Aujourd’hui, avec la Body Positive Attitude, il existe un autre diktat social : tu es beau / belle, parce que tu es toi.

L’une des conséquences de cette tendance est de mettre fin à un idéal inaccessible (et souvent photoshopé), ce que l’on peut juger positif ; mais son corollaire, en plus de déculpabiliser les gens, est de les déresponsabiliser quant aux effets de leurs habitudes dans la durée. C’est ce qui explique pourquoi l’espérance de vie des jeunes générations baisse et pourquoi la mortalité par tabagisme concerne de plus en plus de femmes (20,7% des fumeurs sont des femmes selon Santé publique France).

La seconde, le statut paradoxal de la recherche médicale. Alors que son objectif ultime est la bonne santé, plus la médecine innove, moins elle incite à la prévention, parce que les gens se disent :

« Je n’ai aucun effort à faire puisque la médecine va trouver une solution ».

Résultat, faute de prévention, leur état est appelé à se dégrader. La chloroquine, chère à Didier Raoult, a poussé cette logique à l’extrême, puisqu’elle semblait permettre de s’affranchir du respect des gestes barrières et de la vaccination, autrement dit, de la prévention. D’où ce grand écart entre les valeurs du temps et les fondamentaux de la médecine, entre l’hédonisme et la responsabilisation, entre le court-terme et l’investissement dans la durée. Et parce 37% de l’opinion mondiale considèrent que l’industrie pharmaceutique est fiable et tient ses promesses (un score qui progressé depuis la covid), elle a l’opportunité de faire passer ce message :

« la vocation de la recherche médicale est réduite à néant si la population en prend prétexte pour laisser sa santé se dégrader ».

Mais ce constat n’est pas une fatalité, il y a d’abord eu au début des années 2000 la vague du Quantified Self venue de Californie avec ses premiers appareils d’automesures plus ou moins aboutis surfant sur l’essor alors naissant des objets connectés. Mais la vague est vite retombée. Qui est parvenu à utiliser un bracelet Up de Jawbone plus de 3 mois ? Le marché de la prévention santé a depuis gagné en maturité et connait un renouveau dans lequel la valeur ajoutée réside dans l’analyse de données plus médicales. L’exemple de la start-up ZOI qui vient de lever 20 millions d’euros est le dernier en date.

« L’entreprise promet d’apporter le bien-être et la santé dès aujourd’hui et sur le long terme. »

La notion de temps long est inscrite dans l’ADN de la société reprenant à son compte le vieil adage de la médecine traditionnelle chinoise.

Les solutions les plus simples sont comme souvent les meilleures et elles ont démontré leur efficacité. La difficulté reste d’adopter les comportements préventifs quand tout va bien. Pourquoi changer son comportement quand on se sent en bonne santé ? C’est la question qui se pose à chacun de nous. En 2018, une expérimentation nommée ‘As du cœur’ démontrait qu’on pouvait économiser 30% du montant des soins pour les patients atteints de maladies cardiovasculaires par la prescription d’une activité physique adaptée. C’est donc bénéfique non seulement pour notre santé mais aussi pour l’équilibre financier de notre système de soin. Voilà qui pourrait réconcilier les tenant de « la santé n’a pas de prix » et les économistes de Bercy.

Yvan Morvan

15 Mars 2022, 8:11

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