Comment Huawei innove à la française Leave a comment


Cet article est issu du magazine Management

On pensait débarquer dans l’univers froid et sophistiqué de la technologie. Au lieu de quoi, c’est une montagne de cartons et un concert de marteaux et perceuses qui nous accueillent à l’OpenLab de Huawei, dans l’ouest parisien. Serait-on mal tombé ? Linda Han, numéro 2 de la filiale France du géant chinois des télécommunications, nous rassure dans un sourire : «Chaque fois que je viens, c’est comme ça, un vrai chantier ! Il faut dire que les espaces sont toujours en train d’évoluer, à mesure que nous accueillons les projets de nouveaux partenaires.»

C’est tout l’objet de cet espace collaboratif de 1.000 mètres carrés, ouvert en 2018, le deuxième du genre en Europe avec l’OpenLab de Munich, en Allemagne : déployer et tester les solutions des clients et partenaires européens dont les solutions pour le commerce, la voiture connectée, la santé, la logistique ou, encore, la ville intelligente de demain, nécessite de s’interfacer avec les routeurs, antennes et autres infrastructures de réseau mobile déployées partout dans le monde par le groupe chinois.

La multinationale, née à Shenzen en 1987, présente dans 170 pays et régions dans le monde, a été parmi les premières de son secteur à ouvrir son écosystème. Une démarche qui a agréablement surpris François Kruta, fondateur d’Ubudu, une start-up spécialisée dans la géolocalisation d’objets mobiles – brancards ou pousse-seringues dans les hôpitaux, pièces détachées dans les usines automobiles. «Le groupe américain que j’avais contacté il y a deux ans m’a opposé un refus poli, préférant développer en interne ses propres fonctionnalités. Alors qu’ici, les équipes m’ont montré comment intégrer ma solution aux antennes Wifi 6 de Huawei (le Wifi 6 est la dernière norme des réseaux sans fil, NDLR), et j’ai pu la présenter à leurs autres clients et partenaires lors des événements qu’ils organisent régulièrement. J’ai aussi été invité à l’Open Lab de Singapour, ce qui m’a permis de décrocher plusieurs contrats en Asie.»

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Un positionnement de bon sens pour Nicolas Lefebvre, d’AdEchoTech, la start-up française ayant mis au point le premier robot d’échographie à distance. «A quoi sert de déployer des réseaux s’il n’y a pas d’usages derrière ?», interroge le responsable, qui n’en revient toujours pas d’avoir vu débarquer dans sa start-up du Loir-et-Cher un ingénieur Huawei directement dépêché de Chine.

«L’innovation est dans l’ADN de notre entreprise, vante Linda Han. Notre fondateur est ingénieur, nous sommes une entreprise d’ingénieurs et, l’an dernier, 15% de notre chiffre d’affaires a été consacré à la R&D, soit 17 milliards d’euros.» A la différence d’autres entreprises chinoises, qui n’ont à l’étranger que des bureaux commerciaux, Huawei a fait le choix de décentraliser de larges pans de son activité. «Nous voulons construire des chaînes de valeur dans les pays où nous nous déployons, en mettant à profit les forces de chaque territoire», explique la trentenaire, qui a auparavant dirigé des filiales du groupe en Afrique.

Et si la France a été investie sur le tard par l’entreprise chinoise – le premier centre de R&D est né en 2014 à Sophia Antipolis -, elle est devenue en quelques années un maillon clef de la stratégie d’innovation du groupe : six centres y ont ouvert, à Nice, donc, Paris, Grenoble, Boulogne-Billancourt, portant à 1.000 le nombre des salariés Huawei dans l’Hexagone, parmi lesquels 80% de Français.

«Des innovations majeures ont été mises au point en France, comme l’outil de traitement d’image intégré aux caméras Leica de tous nos smartphones, raconte Linda Han. Une partie du code pour la 5G, devenu depuis standard mondial, a également été écrite ici.» Une information qui ne manque pas de piquant, au moment où les antennes 5G du groupe chinois, accusé par les Etats-Unis d’espionnage au profit de Pékin et interdit de commerce avec les entreprises américaines depuis 2019, font l’objet de sanctions dans plusieurs pays d’Europe, dont la France qui a demandé début 2021 à ses opérateurs mobiles de cesser leur déploiement sur le territoire hexagonal.

Centre de Design Huawei Paris. ©Damien Grenon pour Management

Le Paris Aesthetics Research Center, le centre de design situé en plein cœur du 7e arrondissement de Paris, illustre lui aussi parfaitement la stratégie de décentralisation de Huawei. «Le groupe, dont près de la moitié de l’activité est aujourd’hui axée sur les smartphones et les produits grand public (tablettes, montres connectées, enceintes…), nous a confié la direction artistique de l’ensemble», racontent Samira Nhari et Pierre-François Dubois, «senior brand & marketing manager» et «senior designer», tous deux issus de l’univers de la mode et du luxe – Chanel pour la première et Dior pour le second. «Nous dépendons d’ailleurs directement du siège de Shenzen.»

C’est dans ce loft entièrement vitré avec vue sur les toits de Paris et la Tour Eiffel que sont nés le dernier logo et toute la charte graphique du groupe, et que le «H» de Huawei est récemment devenu monogramme (on le retrouve pour l’heure sur les uniformes des vendeurs en magasin et sur certaines coques de téléphones portables). «Nous avons également pensé l’architecture intérieure des boutiques de Paris, Berlin et Vienne, et participons à la création de tous les produits phares de la marque, comme les smartphones haut de gamme des séries «P» et «mate», les montres connectées, les enceintes…», détaille Pierre-François Dubois, tout en insistant sur la «noblesse» des matériaux choisis : céramique ou cuir pour le dos des téléphones, par exemple.

Récompensé par plusieurs prix de design, le dernier smartphone né de la collaboration avec Porsche design, le Mate 40 RS, fait partie des fiertés de la petite équipe de 15 personnes. «On a voulu faire un traitement automobile de la surface, avec des lignes qui évoquent la vitesse, et un aspect mi-mat, mi-brillant», explique Sylvain Gerber, designer industriel, tandis qu’à quelques bureaux de là, son collègue Alexandre Plicque-Gurlitttravaille sur l’interface des montres connectées de la marque, avec aiguilles et chronographe à l’ancienne, dans l’esprit des montres de luxe.

Le décor est plus classique et l’ambiance nettement plus feutrée au Centre Lagrange, le dernier-né des centres de recherche hexagonaux, ouvert à Paris en octobre 2020. Dans le quartier des ministères, à deux pas de Matignon, une dizaine de jeunes et talentueux mathématiciens planchent sur les défis de demain dans le domaine des télécommunications. «Le centre Lagrange est unique en son genre dans la galaxie Huawei, explique le directeur Merouane Debbah, également directeur de la R&D pour la France. On n’est pas sur les produits, ici. L’idée, c’est vraiment de se consacrer aux mathématiques fondamentales et de faire des ruptures dans le domaine du calcul et des mathématiques.»

Au centre de recherche Lagrange, de brillants mathématiciens planchent sur les défis de demain dans les télécoms. © Damien Grenon pour Management

Car si le Français moyen est, dit-on, nul en maths, la France a fourni quelques-uns des meilleurs actuels mathématiciens au monde, comme Maxime Vono et Vincent Plassier, deux thésards spécialistes des algorithmes que le géant chinois a réussi à attirer. «Avant, les as des algorithmes partaient dans la finance ; maintenant, ce sont les start-up technologiques qui se les disputent», raconte Merouane Debbah.

t pour cause. Qu’elle soit dans le cloud, à bord de nos voitures ou dans nos smartphones, l’intelligence artificielle est le grand défi du moment. L’un des nombreux sujets qui occupent nos jeunes mathématiciens est d’ailleurs le «calcul distribué entre plusieurs machines». «Le but, c’est d’entraîner les intelligences artificielles de nos appareils mobiles, explique Maxime Vono. Pour cela, il faut réussir à fédérer leurs informations via la station de base à laquelle ils se connectent, tout en protégeant les données des utilisateurs.»

«On se donne dix ans pour trouver une invention qui impactera toute l’industrie», déclare Merouane Debbah. Pourquoi pas en révolutionnant les fameuses lois de Moore (sur la miniaturisation des processeurs) et de Shannon (son équivalent pour les transmissions) ? «Si l’on n’y arrive pas et que notre développement se retrouve entravé par ces limites physiques, alors au moins nous pourrons anticiper et nous réinventer face à ces nouvelles contraintes.» Pragmatisme et adaptabilité : les deux constantes de la stratégie du groupe chinois se vérifient jusque dans la recherche fondamentale.

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